Quelques tendances évoquées dans ces lignes se sont confirmées : l’inclinaison vers la droite libérale du macronisme (prévisible dès 2017), l’émergence d’une nouvelle tripartition (révélée à la lumière du premier confinement en 2020), l’aspiration unitaire de l’électorat – affaibli – de gauche (recherché par plusieurs initiatives recensées depuis deux ans, ici ou là). Elle se traduisent aujourd’hui par cette absence de majorité absolue pour les soutiens du président réélu (scénario doublement inédit, qui me paraissait néanmoins crédible dès les 3 points de mai dernier).
Le résultat des élections législatives a surpris, mais il n’était pas imprévisible : les études qualitatives montraient depuis longtemps que la politique d’Emmanuel Macron ne récoltait pas un soutien majoritaire dans le pays. Rappelons que sa réélection face à Marine Le Pen, dont le score n’a fait que progresser depuis dix ans, a été scellée par un barrage sans équivoque au Rassemblement national. Précisons également qu’aucun projet politique alternatif n’était en mesure de rassembler une majorité solide sur l’ensemble du territoire. Il n’est donc pas illogique que cette fragmentation géographique et sociale se retrouve dans un représentation nationale qui se rapproche sensiblement d’un scrutin proportionnel – selon les modalités choisies, Nupes et RN auraient cependant dû obtenir encore plus de sièges. C’est la stratégie de l’extrême centre qui est mise en échec : en rejetant les oppositions de gauche et de droite dans un même camp du chaos tout au long du mandat précédent, Emmanuel Macron ne dispose plus d’une marge de négociation acceptable avec ses multiples oppositions.
Je persiste à penser qu’il y a des éléments positifs à retirer de cette situation. Le pouvoir législatif peut récupérer un rôle décisif et les différents partis vont devoir faire preuve de maturité pour débattre de questions qui ne sont objectivement pas tranchées dans l’opinion. La participation citoyenne peut trouver un nouvel écho dans ce rééquilibrage des pouvoirs – à l’image de la plateforme de pétitions de l’Assemblée nationale, que nous venons de remettre à zéro au changement de législature, et qui permet une irruption des citoyens dans l’ordre du jour parlementaire. Si aucune pétition n’a encore atteint le seuil requis au Palais Bourbon, trois l’ont déjà fait sur la plateforme du Sénat.
À l’inverse, les choses pourraient rapidement mal tourner. Il y a bien sûr l’hypothèse d’un blocage systématique qui conduirait à une dissolution forcée, mais je ne parie pas sur ce scénario à court terme. La répartition des responsabilités, la semaine dernière, entre vice-présidences, questure et présidences des commissions au gré des stratégies de vote ou d’abstention fluctuantes de la majorité pour que tout le monde – RN compris – y trouve son compte va, à mes yeux, dans ce sens. La stabilité de l’édifice demeure précaire, mais aucun camp n’a réellement d’intérêt à instaurer le désordre.
Le RN, désormais dédiabolisé aux yeux d’une majorité de Français et implanté dans des couches sociologiques et territoriales plus diverses, tend un piège au Gouvernement. En exigeant de ne plus être positionné à l’extrême droite de l’hémicycle, le bataillon de Marine Le Pen, toujours en quête de respectabilité, pourrait « jouer le jeu » jusqu’à accepter de voter tout ou partie des textes économiques, sociétaux ou régaliens qu’il aura pu amender ou qui seront compatibles avec sa grille de lecture conservatrice, sécuritaire et anti-immigrationniste – malheureusement, il pourrait y en avoir… Les Républicains, pris en étau, risquent d’être longtemps tiraillés sur leur ligne de crête entre, d’un côté, les appels du pied des figures de la majorité qui espèrent reprendre le flambeau par la droite dans cinq ans et, de l’autre, les soutiens d’une stratégie d’union des droites jusqu’à l’extrême. La mini-coalition « Ensemble ! » pourrait imploser à moyen terme, si la ligne penche trop à droite ou si la popularité de l’exécutif devient trop faible à mesure que l’autorité du président s’étiolera. Enfin, les sensibilités de la gauche unie, qui se sont rassemblées dans l’élan précipité de leur non-qualification au second tour de l’élection présidentielle et selon une clé de répartition très conjoncturelle, pourraient se fractionner à chaque désaccord important sur le fond – c’est même l’inverse qui serait surprenant sur le temps long.
Nous allons par conséquent redécouvrir le débat parlementaire. Parmi les primo-député-es dont les premiers pas seront à suivre, Mathilde Hignet est la nouvelle élue de la quatrième circonscription d’Ille-et-Vilaine, où je réside désormais. À 29 ans, cette ouvrière agricole dans la ferme biologique parentale et son suppléant boulanger l’ont emporté de justesse avec l’étiquette Nupes (50,36 %). Un bel exemple de renouvellement !