Dans le cadre d’un exercice de réflexion avec une boucle d’amis investis dans la multiplication des initiatives citoyennes locales, j’ai écrit au début du mois d’avril une courte réaction aux innombrables initiatives et personnalités qui se positionnaient, dès le début du confinement et sans grande originalité, sur l’invention d’un « après ». Je repartage ces quelques notes ici.

En contradiction avec l’idée que tout change avec le coronavirus, je formule 3 hypothèses :
1. Nous ne nous reconnaissions pas, déjà avant la crise, dans la bipolarité politique entre progressistes et nationalistes, et nous revendiquons a minima l’existence d’un troisième pôle, certes divisé, autour d’une ambition sociale et écologiste.
2. Les crises sanitaire et socio-économique entraînées par la pandémie Covid-19 ne vont pas mécaniquement changer la condition humaine, mais elles peuvent accélérer les changements que la confrontation à l’urgence climatique opère déjà en nous.
3. Chaque pôle dispose d’une doctrine cohérente et ses solutions circulent déjà dans le débat public. La question est de savoir quel modèle va attirer et convaincre le plus de citoyens pendant la longue crise qui ne fait que débuter, puis dans l’environnement qui lui succèdera pour les dix prochaines années.

Je caractérise, sur la base de mes propres biais, les projets politiques des pôles en 3 attitudes distinctes :
1. Le repli. La pandémie est à la fois la conséquence et l’acte de mort de la mondialisation. Nous devons regagner en priorité les conditions de notre indépendance. Solutions post-crise ? Acter un repli stratégique : relocalisations des chaînes de productions, nationalisations des grandes entreprises, protectionnisme économique fort, solidarité sur base nationale et communautaire, limitation des échanges et des migrations.
2. Le déni. La pandémie est un choc exogène unique et imprévisible. La première priorité est de maintenir l’emploi et de relancer la machine afin de permettre aux acteurs économiques de se refaire au plus vite. Solutions post-crise ? Réduire les entraves au retour le plus rapide possible à la situation pré-crise, mais aussi créer de nouvelles assurances financières et moderniser le système de santé avec de nouvelles technologies de détection et contrôle des épidémies pour anticiper le risque de futures crises sanitaires.
3. Le répit. La pandémie révèle nos faiblesses systémiques, nos inégalités sociales et un grand besoin de solidarité. Il va falloir en priorité consolider nos digues en prévision des vagues climatiques plus violentes qui se profilent à l’horizon. Solutions post-crise ? Créer un revenu universel de base, investir dans la transition écologique et locale de nos productions, à travers un renfort des services publics et un investissement dans les communs qui sont plus résilients.

J’en retire 3 constats :
1. Les solutions face à la crise ne se recoupent que très partiellement (financement du chômage partiel, de nationalisations temporaires et d’un réinvestissement dans l’hôpital par plus d’endettement public) ; voire pas du tout pour celles à mettre en œuvre « le jour d’après ».
2. Paradoxalement, chaque attitude est renforcée, à l’intérieur de son propre système de valeurs, par la situation. La crise justifie une forme de radicalisation, et donc de polarisation du spectre politique (mais sur trois axes et non plus deux).
3. Le répit est l’attitude la moins confortable, celle qui exige le plus d’adaptation du système et de « renoncement aux privilèges » des personnes. Par essence et recul historique, elle est réticente au passage par la contrainte. Il faut donc renforcer sa capacité de conviction, et donc sa diffusion, et donc son organisation, là où c’est pertinent et avec ceux qui y travaillent déjà.

On m’a rapidement fait remarquer que repli et répit étaient complémentaires à condition de ne pas donner une connotation négative à la première attitude. Il est effectivement probable que les tendances observées finissent par s’allier, au moins électoralement, pour définir une nouvelle majorité – toutes les combinaisons étant d’ailleurs envisageables à ce stade. Je reste, pour ma part, peu attiré par les discours souverainistes et attaché à l’idée que ce n’est que par l’ouverture, la coopération et le multilatéralisme – certes mis à mal aujourd’hui – que nous finirons par trouver les meilleures solutions.