Je m’apprêtais à parler du Problème à trois corps, la trilogie mondialement acclamée de l’écrivain chinois Liu Cixin, qui décrit l’adaptation de l’humanité à l’annonce d’une inévitable invasion par une civilisation extra-terrestre bien supérieure. Puis la La nuit du faune, telle une comète qui écrase la concurrence de cette saison littéraire, est venue percuter l’agencement de mes distrayantes lectures.

Le faune est un curieux personnage primitif qui cherche la connaissance pour entrevoir le devenir de sa jeune race. Il est baptisé Polémas lorsqu’il rencontre une fillette qui vit un long ennui au sommet d’une montagne. Contrairement à ce que son apparence enfantine laisse croire, Astrée est en réalité la dernière représentante d’un vieux peuple qui s’est dispersé par-delà les étoiles. Grâce à ses pouvoirs, ils entament tous deux un voyage intersidéral qui les conduira, au gré de sauts rendus possibles par les théories de la physique quantique, à la rencontre de plusieurs formes d’intelligence, depuis les intelligences artificielles créées par les humains puis émancipées jusqu’aux divinités cosmiques qui guerroient éternellement d’un pan à l’autre de la Voix lactée.

Il est difficile de classer le texte de Romain Lucazeau dans les cases classiques. A la fois conte philosophique dans la tradition voltairienne, fiction sur fond de science dure, poème truffé de références érudites – dont les noms tirés de L’Astrée d’Honoré d’Urfé – et essai métaphysique sur l’ascension et de la chute des civilisations, l’ouvrage tient de l’ovni. Son exigence déroute lorsque la lecture n’est pas suffisamment concentrée – et ce fut sans doute mon cas à plusieurs reprises. Son style très élaboré contient de réelles pépites, mais j’ai parfois relevé des passages plus lourds. La nuit du faune divise. Je me range du côté de ceux qui ont apprécié l’originalité du voyage, mais je n’ai pas été transporté au point de l’ériger en indispensable chef d’œuvre. Cette balade réflexive de Jupiter au plus profond des trous noirs reste néanmoins une merveilleuse occasion de débuter le mois de l’imaginaire.

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