Je constatais récemment que cela fait plusieurs mois que je n’ai pas visionné un film, entamé une série ou lancé un jeu vidéo. Sans doute est-ce un mélange entre le besoin d’éloigner mes yeux des écrans omniprésents dans mon travail et l’arrivée d’Ulysse qui entrecoupe chaque activité. A la place, rien de mieux qu’un album pour me distraire et me relaxer !
Le 9e art est celui de tous les styles et de tous les possibles. Sur le podium de mes lectures des derniers mois, Les Indes Fourbes narrent les aventures rocambolesques de don Pablos de Ségovie, un moins que rien baladé au gré des rebondissements dans la quête du mythique Eldorado. Le récit d’Alain Ayroles est sublimé par les crayons et pinceaux de Juanjo Guarnido, le dessinateur de Blacksad. Liberté est le premier tome de la trilogie Révolution de Florent Grouazel et Younn Locard. Primé à Angoulême et salué par les historiens, cet ouvrage nous plonge dans les rues de Paris et Versailles en 1789 pour nous faire vivre avec une proximité rarement atteinte le quotidien violent et incertain de la plèbe, la quête d’idéal des bourgeois discourant aux États Généraux et l’effroi d’une aristocratie prise par surprise. Passionnant pour les amateurs d’Histoire et de Politique avec des majuscules. L’album le plus attendu et qui n’a pas déçu en cette rentrée, c’est Carbone & Silicium de Mathieu Bablet. Aux pérégrinations d’envergure et à l’anticipation engagée déjà appréciées dans Adrastée (2014) et Shangri-La (2016), le grand talent de notre génération ajoute ici la résonance des préoccupations de notre époque. Carbone et Silicium sont deux intelligences artificielles fortes et omniscientes qui n’entendent pas s’arrêter de vivre à la date de péremption programmée de leur enveloppe corporelle. Après ce point de départ classique, le fil du récit dépasse les poncifs des histoires de robots – au point de s’en moquer dès les premières pages. Ce qui compte ici, c’est l’humanité placée dans ces androïdes sans cesse réunis et séparés au cours de trois siècles de survie dans un environnement qui s’effondre par touches successives.
Chaque chapitre se déploie sur un nouveau continent de couleurs où les eaux montent, les déchets s’entassent et les corps dépérissent. Faut-il ne jamais cesser de croire en l’humain, s’enraciner quelque part pour défendre une terre et ses occupants ou perdre l’espoir de les sauver pour s’évader sans regrets dans une quête infinie de liberté dans des paysages solitaires ? Le dilemme a rarement été aussi magnifié que dans les planches poétiques de Mathieu Bablet. Quatre ans de maturation ont été consacrés au contour des architectures précises – sa marque de fabrique – et à l’invention des superbes cases en négatif qui illustrent la fuite des IA dans leur monde de données. Une valeur sûre et intelligente qui s’étend sur 260 pages que vous allez dévorer.