L’air se tend crescendo. Une treizième journée de manifestation à l’ampleur inégalée depuis des années est venue s’ajouter, le lundi 1er mai, à la contestation par une large majorité de la population de la réforme des retraites. Comme tous les pouvoirs isolés et acculés, le Président, son Gouvernement et leur majorité parlementaire relative s’enferment depuis les dernières élections dans une ligne politique de plus en plus autoritaire.
Un faisceau de preuves composé de déclarations et de décisions des seules dernières semaines trahit cette inclination dangereuse, déjà amorcée durant la crise des Gilets Jaunes. La violence intolérable d’un « black bloc » aux contours nébuleux, dont l’émergence n’est visiblement pas empêchée mais stimulée par les stratégies agressives de maintien de l’ordre, permet d’attiser les peurs, de nourrir les amalgames et de durcir la répression contre les revendications écologistes et sociales très majoritairement non-violentes. Le rapport accablant de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté publié ce 3 mai détaille des faits d’interpellations préventives très aléatoires et de violation des procédure de garde à vue lors d’une précédente journée de manifestation.
Le 25 mars autour de la méga-bassine de Sainte Soline, c’est un certain modèle agricole qui était contesté pour ses ravages à l’heure de l’adaptation au réchauffement climatique. Pour comprendre les dérives de cet agro-business à partir du cas breton, je recommande les articles tirés de l’enquête « Silence dans les champs« de Nicolas Legendre, correspondant du Monde à Rennes. Au lieu d’ouvrir une discussion légitime sur ces rétentions d’eau créées en réponse à l’intensification des sécheresses, la réaction gouvernementale suite aux affrontements a été, par l’intermédiaire du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, d’entamer une procédure de dissolution contre le mouvement écologiste des Soulèvements de la Terre, dont les causes sont pourtant soutenues à titre personnel par plusieurs éminents scientifiques du GIEC.
Quelques jours plus tard, le même ministère de l’Intérieur, rapidement conforté par la Première ministre Elisabeth Borne, remettait en cause le financement de la Ligue des Droits de l’Homme, vénérable association plus que centenaire dont la vocation est de défendre les droits et libertés, par exemple celle de manifester, sans s’identifier aux discours ou actions des individus concernés – ce qui lui est réulièrement reproché. Il faut lire l’interview de Patrick Baudouin, président de la LDH, pour comprendre de quel côté est l’argumentation modérée et dans quel autre registre se positionne Gérald Darmanin.
Selon une philosophie convergente, la Commission des Lois de l’Assemblée nationale s’est saisie le 5 avril de la pétition record demandant la dissolution de la BRAV-M pour la classer, sans débat ni justification, afin qu’elle n’approche pas du seuil requis pour une discussion publique dans l’Hémicycle. Cas d’école démontrant le manque de considération de ces députés pour les outils de médiation démocratique que leur institution a mis en place.
Je suis de ceux qui s’inquiètent autant du fait que des ministres ne soient plus en mesure de se déplacer sur le terrain sans être accueillis par des « casserolades » – beau symbole pour dénoncer la surdité jupitérienne face au mouvement social – que de la décision sérieuse d’une préfecture d’interdire les casseroles et tambours dans l’espace public. Le fait que 400 policiers et gendarmes sortent blessés des manifestations du 1er mai est tout aussi préoccupant que la multiplication des violences policières, qui sont désormais suffisamment documentées pour ne pas être réductibles à des actes isolés. L’air se tend crescendo et il sera difficile de faire redescendre la pression.