Il fait partie des quelques livres que j’ai achetés il y a un peu plus de dix ans, mais jamais lus : Extra Pure (2014), le récit-enquête sur l’économie de la cocaïne de l’italien Roberto Saviano, connu pour le livre et le film Gomorra (2008). Selon sa quatrième de couverture qui m’avait attirée déjà à l’époque, la carte du monde peut être retracée à partir de la circulation de la drogue. Les mafieux qui organisent et tirent profit du narcotrafic sont si riches et féroces qu’ils échappent à toute régulation et n’hésitent pas à semer la peur et la mort sur ceux qui osent les dénoncer et les affronter. 

Amine Kessaci est de cette trempe. L’histoire tragique de sa famille est désormais connue de tous les Français : de l’assassinat de son frère ainé Brahim dans un règlement de compte en décembre 2020, moteur de son engagement politique écologiste et de sa dénonciation du narco-banditisme qui gangrène des quartiers de Marseille, jusqu’à sa récente mise sous protection policière et à l’assassinat de son frère cadet Mehdi le 13 novembre. Amine Kessaci a l’immense courage de ne taire ni sa douleur ni son combat.

Grâce à son témoignage d’autres histoires sordides et quelques souvenirs remontent à la surface. Lors de mes trois années passées auprès du maire d’Aubervilliers, de 2012 à 2014, je n’ai jamais été directement confronté à ces réseaux, mais je me rappelle que le directeur de cabinet de l’époque m’avait rapporté des menaces très directes à l’approche de la campagne : des intimidations de dealers contrôlant un carré d’immeubles et promettant des représailles physiques et politiques s’ils n’étaient pas laissés tranquilles sur ce qu’ils considéraient comme leur territoire. Les pressions n’étaient jamais proférées à ciel ouvert, mais le narcotrafic était déjà présent et pesant. 

Les chiffres rapportés dans Le Monde sur son emprise actuelle sont affolants. Cette économie parallèle, contrôlée depuis l’étranger, ferait vivre 200 000 personnes en France, dégagerait un chiffre d’affaires annuel de 5,5 milliards d’euros et approvisionnerait en cocaïne plus d’un million d’usagers – le plus souvent dans des quartiers bien plus huppés. Selon Roberto Saviano, « La France a ignoré le problème du trafic de stupéfiant et de la mafia en estimant qu’il était lié à l’immigration, cette façon de voir les choses a détourné le regard de la prise en compte de ce phénomène. » Je ne suis pas un expert des politiques des drogues, mais il est évident que la situation est un échec, aussi bien sécuritaire que sanitaire et social.