C’est avec une vive émotion et une grande tristesse que je rédige ces lignes qui annoncent le décès, à l’âge de 75 ans, d’Olivier Buchotte, co-fondateur et co-gérant d’Open Source Politics. Le cancer a fini par triompher le 27 février après plus de deux années d’une âpre lutte. Mes pensées affectueuses vont naturellement à Alain Buchotte, notre directeur technique moustachu, et son frère Victor, ainsi qu’à leurs épouses et jeunes enfants.

Olivier fut le premier responsable de notre décennie d’aventure au service des communs numériques et de la participation citoyenne. Après une première carrière de chef d’entreprise dans la signalétique, c’est lui qui nous a mis le pied à l’étrier. D’abord en encourageant Virgile Deville à créer l’association pionnière DemocracyOS France en 2015, puis en nous réunissant quelques mois plus tard pour nous inciter à créer une entreprise rattachée au secteur de l’économie sociale et solidaire et en proposant d’assurer toutes les fonctions administratives et financières pendant les six premières années. Sans sa confiance toujours renouvelée et ce partage de compétence inestimable, probablement aurions nous trop tardé à franchir le pas ou bien nous serions nous égarés en chemin. C’est de sa table carrée du 32 rue des Cascades, alors que nous étions entourés par son inépuisable bibliothèque d’humanités et par la carte de l’île de Madagascar qu’il a tant aimée, que toutes nos grandes décisions des premières années ont découlé.

De nombreux souvenirs émaillent ces années de co-gérance et me resteront en mémoire. Le plus improbable et savoureux fut sans doute cette mission à Abidjan en 2018 pour le compte du Programme d’appui aux Gouvernements ouverts francophones. Il y eut aussi ses colères homériques contre des procédures qu’il jugeait trop bureaucratiques ou des interlocuteurs qui avaient le malheur de le trouver levé du mauvais pied – et autant de situations qui ont demandé d’éviter diplomatiquement les dommages auprès de nos partenaires, salariés ou entre associés. C’était parfois plus fort que lui, mais jamais motivé par de la méchanceté. Bien au contraire, l’Olivier que j’ai connu et pu apprécier était un être entier, engagé, qui se rangeait du côté des causes justes, qu’il s’agisse de la qualité de vie des habitants de son quartier de Belleville ou de la résistance du peuple palestinien.

Olivier nous a fasciné de nombreuses fois en restant toujours à l’avant-garde des initiatives qui repensent le monde, comme l’un des premiers membres du supermarché coopératif La Louve, ayant la vivacité intellectuelle de jongler de la démocratie athénienne au bitcoin, ou portant l’ambition d’intégrer la rémunération du commun dans le fonctionnement d’une entreprise suffisamment capitaliste pour survivre tout en étant suffisamment radicale pour mériter d’exister. Il a consacré ses dernières forces à contribuer à la tenue des premières rencontres de la société des communs il y a un an, et me partageait sa frustration de ne plus être en assez bonne santé pour épauler davantage les organisateurs qui n’avaient pas la moitié de son âge.

J’ai souvent pensé à Jacques Salvator quand je discutais avec Olivier Buchotte. Le parallélisme de leur disparition, en neuf trimestres après la fatidique découverte d’un cancer hivernal, n’a pas manqué de rapprocher les deux figures, alors que nous commémorerons ce 11 mars les neuf ans de la mort de l’ancien maire d’Aubervilliers. Deux sortes de mentors successifs aux caractères bien différents du mien, mais qui m’ont appris, parfois par leur érudition partageuse et d’autres fois par le contre-exemple, bien plus que je ne suis capable de le reconnaître moi-même.

Olivier, qui passait des heures quotidiennes dans la lecture d’essais éclectiques, se plaignait souvent quand je le voyais de ne pas avoir assez d’une vie pour lire, faire et raconter tout ce qu’il avait en tête. Il semblait, les dernières fois, avoir fait la paix avec la finitude des choses et le peu d’écrits qu’il nous laisserait. La relecture de celui que je sentais être son dernier message à mon attention, clôturant une semaine avant son décès une ultime salve de courriers administratifs à traiter, me fait retrouver le sourire : « Désolé Valentin pour ces conneries qui font le quotidien du chef d’entreprise ! » Merci, encore une dernière fois, de t’en être occupé si longtemps pour nous.

Je retiens depuis des années deux autres citations marquantes d’Olivier, qui me motivent dans l’action d’Open Source Politics et composent des boussoles politiques qui demeureront longtemps utiles : « Participer, c’est comprendre. » Et « À la fin, ce sont ceux qui aiment vraiment les gens qui gagnent.« 

Olivier Buchotte, 1950-2025.