Nous avons beau faire preuve d’anticipation et connaître le registre dystopique, l’enchaînement des événements du 20 janvier, à l’occasion de la seconde investiture de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale, a repoussé les limites de nos cauchemars.

Il y eut d’abord le ralliement docile des patrons des GAFAM, rangés au premier rang d’une cérémonie d’allégeance qu’ils ont personnellement financée. Elle faisait suite aux revirements terrifiants des politiques de modération sur leurs réseaux, déjà dénoncés depuis près de dix ans pour encourager la viralité des fausses informations. Il faut saluer l’initiative Open Terms Archive qui nous permet de visualiser le « diff » entre la précédente et la nouvelle version du texte qui encadre les contenus autorisés sur les plateformes Meta. Au nom d’une liberté d’expression dévoyée, il n’est plus réprimé sur Facebook, Instagram ou Threads de comparer les femmes à des objets domestiques ou les personnes noires à du matériel agricole. Il est explicitement autorisé sur ces plateformes d’insulter et d’appeler à discriminer les personnes trans, les immigrés ou les homosexuels. C’est écrit noir sur blanc. Glaçant. 

Il y eut ensuite la mise en scène des décrets exécutifs signés par le nouveau président, fidèle à sa promesse d’être un « dictateur le premier jour ». Plus violent que durant son premier mandat qui s’est terminé, rappelons-le, par une tentative de coup d’État avec l’assaut du Capitole, Trump II provoque une onde de choc qui déstabilise tous les blocs. En agissant aussi vite et aussi fort – nouvelle sortie de l’accord de Paris et de l’OMS, menace impérialiste sur le Canada, le Groenland et le canal de Panama, soutien inconditionnel au gouvernement israélien, suspension de toute l’aide internationale dont celle qui bénéficie particulièrement à l’Ukraine… – il redessine déjà la carte du monde. Google va symboliquement se ranger à ses folies, en renommant la Golfe du Mexique en Golfe d’Amérique. Cela va au-delà de toute fiction.

Il y eut enfin le salut nazi d’Elon Musk, répété deux fois pour ôter tout doute sur ses intentions. Comme s’il n’était pas question qu’on lui vole la vedette, lui qui a financé la réélection de Trump à hauteur de 270 millions de dollars. Il ne compte pas s’arrêter là, comme le montre son ingérence outrancière et révisionniste dans les prochaines élections allemandes. Oui, il faut quitter X – si cela n’a pas déjà été fait dès le rachat de Twitter en 2022 – et se distancer de tout ce qui forme l’impressionnant empire Musk. Il y a désormais tellement d’excès à recenser que nous restons estomaqués. Pire, acclimatés.

L’alignement idéologique entre les plus grandes entreprises technologiques, le capitalisme financeur des énergies fossiles et un autoritarisme politique qui n’accepte aucun contre-pouvoir – ce que l’on qualifie désormais d’alliance carbofasciste – nous projette à pleine vitesse dans un enfer climatique sur une planète déjà contaminée. Si cette lutte semble perdue à court terme, alors il nous faut nous ranger à l’hypothèse d’une fondation comme celle imaginée par les romans d’Asimov : sauver ce qui doit l’être pour que l’éclipse causée par ce nouvel obscurantisme dure le moins longtemps possible. En mettant la citoyenneté, l’information vérifiée et le libre partage au cœur du projet.

Nous savons depuis des années qu’Elon Musk écrit et dit souvent n’importe quoi, mais jamais je n’avais pensé qu’il irait jusque là…