Les Jeux olympiques et paralympiques forment le projet cosmopolitique ultime : des milliers d’athlètes venus du monde entier qui s’affrontent pacifiquement dans des centaines d’épreuves et s’illustrent par de nombreux exploits individuels et collectifs. Il n’y a pas d’événement plus universel que cette fête sportive désormais suivie en direct, durant deux périodes de deux semaines, par près de la moitié de l’humanité. Pourtant, en ces temps de douloureuse confrontation aux limites planétaires, il n’est plus possible d’éviter la question qui fâche : comme se le demande le dernier numéro d’Usbek & Rica, est-ce la fin des grands rassemblements ?

Compétitions planétaires ou tournées de concerts géants, les manifestations de masse nous font vibrer, mais entraînent une évitable surconsommation de ressources. Initialement annoncés comme le premier événement de cette ampleur « à impact environnemental positif », les JO parisiens visent désormais à réduire de moitié les émissions d’équivalent CO2 par rapport aux précédentes éditions à Londres en 2012 et Rio en 2016 (ceux de 2021 à Tokyo ayant été très impactés par les restrictions de déplacements causées par le Covid). C’est déjà un progrès substantiel que de diviser l’empreinte des constructions, transports et consommations sur site par deux par rapport au standard de la décennie précédente. C’est évidemment préférable au gaspillage illimité de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Cependant, la cible de 1,5 million de tonnes d’équivalent CO2 – dont le calcul est déjà contesté – représente l’empreinte actuelle de plus d’un million et demi de Franciliens sur un an, qui est elle-même cinq fois supérieure à l’objectif de deux tonnes par tête que nous devrions idéalement atteindre !

En s’appuyant sur une grande majorité de sites déjà existants, l’organisation parisienne devrait éviter l’écueil de ses aînées. Je me souviens d’avoir visité avec consternation les abords du site des JO d’Athènes en 2011, devenu une friche quasiment abandonnée sept ans seulement après le retour des Jeux sur les terres antiques. Le peu de nouvelles infrastructures parisiennes pérennes – notamment le centre aquatique et l’Adidas Arena – semblent exemplaires d’une architecture consciente de l’urgence climatique. Qu’il soit recommandable ou non de se baigner dans la Seine, les Jeux de Paris seront sans doute plus vertueux que leurs prédécesseurs, en matière sociale et environnementale, mais ils feront venir jusqu’à trois millions de personnes en avion. Si l’on dépasse la stratégie de communication, l’interrogation demeure à trois mois des Jeux : pendant combien de temps encore pouvons-nous nous offrir le luxe d’inviter le monde entier à jouer ?