Nous avons intériorisé la défaite promise face à la droite extrême ou l’extrême droite plusieurs années à l’avance. La victoire tactique des Républicains et du RN sur la loi immigration mi-décembre 2023 est avant tout leur victoire culturelle. Si le Gouvernement et ses soutiens ont voté ce texte, alors il y avait bien une majorité dans ce pays pour en soutenir le fond. Je suis le premier à parler de la vie politique française avec fatalisme, projetant ou confortant mes interlocuteurs dans la déprime. Pourtant, des millions de personnes veulent l’éviter, et certaines engagent une énergie magnifique pour l’empêcher, mais il manque un chemin et un récit pour faire se rencontrer les étincelles.

Rembobinons. Criblés de défauts internes et plombés par leurs bilans successifs comme par leurs candidat-es, les partis traditionnels se sont effondrés depuis 2017. Emmanuel Macron a su saisir sa chance et rapidement imposer une tripartition qui le place au milieu de deux alternatives contraires. La meilleure solution à l’équation pour lui s’est élucidée lors de l’élection présidentielle 2022 : la gauche divisée est éliminée dès le premier tour et ne peut, dans sa grande majorité, que le soutenir au second. Le scénario inverse aurait sans doute été plus transgressif, mais l’issue aurait été la même pour le Président. Son pôle central reste minoritaire en valeur absolue, comme l’ont révélé les élections législatives, mais dans la grande majorité des cas – hors textes budgétaires que l’opposition ne peut pas approuver par principe et qui déclenchent donc une adoption par l’article 49.3 – quelques compromis avec Les Républicains suffisent à gouverner en ligne droite. Les candidats potentiels à la succession d’Emmanuel Macron en 2027 sont issus de cette même droite et la trajectoire gouvernementale depuis sept ans conforte leur ligne. Tant qu’aucune candidature de gauche ne les devance et qu’il reste suffisamment d’électeurs consciencieux à s’opposer à l’accession de Marine Le Pen au pouvoir, la solution du problème à trois corps reste à leur avantage.

Or les partis et personnalités politiques de gauche donnent peu de signes rassurants sur le décryptage de ce scénario et l’envie de tenter une approche nouvelle. 2017 les a pris par surprise, soit. En 2019, le mode de scrutin des élections européennes et le fait qu’ils siègent dans des groupes distincts au Parlement européen ne les incitait pas à se présenter une liste commune – c’est dommage, mais soit. En 2020, les alliances locales ont primé et la sociologie des grandes villes a permis de donner une impression de victoire alors que d’autres territoires ont été abandonnés. En 2022, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel et leurs formations respectives ne pouvaient pas ne pas avoir calculé leurs faibles chances de succès en partant désunis, mais ils n’avaient aucune envie de céder leur place à l’un-e des autres. Le rapport de forces créé par la Primaire populaire a failli réussir à s’imposer à eux, mais il suffisait qu’ils soient d’accord pour refuser, chacun à leur tour, de participer à la démarche pour la tuer. Dans la foulée et pour cette raison, je n’ai jamais cru à la pérennité de la Nupes : « les sensibilités de la gauche unie, qui se sont rassemblées dans l’élan précipité de leur non-qualification au second tour de l’élection présidentielle et selon une clé de répartition très conjoncturelle, pourraient se fractionner à chaque désaccord important sur le fond – c’est même l’inverse qui serait surprenant sur le temps long« , disais-je en juillet 2022. Les élections européennes de 2024 se rejoueront comme celles de 2019 – il est trop tard pour qu’il en soit autrement. La suite, en revanche, reste à inventer. À condition de ne pas trop tarder.

La Primaire populaire a cherché à résoudre la question de la personne à six mois du scrutin. Il était facile pour les candidat-es qui ne voulaient pas y participer d’invoquer des désaccords sur les programmes, surtout qu’ils disposaient déjà des leurs, constitués par leurs partis et mouvements depuis plusieurs mois. Il faut donc ajouter une étape préalable à la démarche de rassemblement : si un programme commun s’impose suffisamment tôt aux candidat-es potentiel-les, il sera plus dur de le refuser. Une méthode s’impose pour cela car les partis et les électifs locaux savent déjà le faire : une convention citoyenne représentative de l’électorat de gauche dans sa diversité pourrait constituer ce programme. De septembre 2024 à décembre 2025, le temps est largement suffisant pour consulter, en ligne et hors ligne, tout ce que la France compte d’associations, d’universitaires et d’experts de tous les terrains afin qu’un panel citoyen aboutisse sur le projet le plus équilibré et souhaitable possible. Pour lui donner encore plus de force, une phase d’approbation par les sympathisants pourrait être organisée. Le premier semestre 2026 serait consacré à la déclinaison de cette dynamique dans le cadre des élections municipales. Enfin, à l’automne 2026, un exercice de type Primaire populaire pourra désigner dans de meilleures conditions une personne pour porter ce projet au second tour de la présidentielle 2027 et au-delà. Simple sur le papier, mais le pré-requis est que les partis de gauche fassent confiance aux citoyens. Comment pourrait-il en être autrement ?

Voilà la question de mes vœux politiques réglée d’un coup pour les trois années à venir. Après tout, il est permis d’espérer. L’idée, présentée au lendemain du Brexit, de tirer au sort une assemblée de citoyens pour orienter le futur de l’Europe s’est concrétisée quelques années plus tard…