Je lisais avec intérêt en début d’année cette interview de la généticienne Samah Karaki, dont le récent ouvrage explique que le talent est une fiction qui ne résiste pas à l’étude des neurosciences. De manière corollaire, le mérite est avant tout une construction sociale, fort utile depuis des millénaires pour justifier la perpétuation des inégalités. Dès lors, comment expliquer que certaines personnes, qui n’héritent pas toutes d’un capital social démesuré, arrivent plus que d’autres à concrétiser des rêves incroyables ou réaliser des performances extraordinaires ?

Une abnégation à toute épreuve ? C’est le cas de L’Astronaute. Dans le film de et avec Nicolas Giraud, un ingénieur en aéronautique recalé au concours de l’agence spatiale européenne détourne des pièces commandées par ArianeGroup pour réaliser son rêve de construire et piloter la première fusée amateure à atteindre l’espace. Ce qu’il manque de crédibilité à l’intrigue n’est pas complètement compensé par la poésie de la quête, mais le fait d’avoir vu ce film dans la très belle salle de L’Hermine, cinéma associatif situé dans la commune voisine, nous a conquis. 

Poursuivre sa vocation en dépit des vents contraires et des opinions dominantes est aussi le moteur de Sammy Fabelman, qui n’est autre que la projection autobiographique d’un Steven Spielberg retraçant sa jeunesse. Marqué au milieu de l’enfance par les images saisissantes de sa première séance dans une salle obscure, le futur maître de la réalisation poursuivra son obsession pour la caméra, la mise en scène et les effets spéciaux au gré des déménagements familiaux et des déconvenues de l’adolescence. En filigrane de cette traversée personnelle des États-Unis des années 1950-1960, Spielberg raconte son amour du cinéma et livre sa réflexion universelle sur la création et les tensions qu’elle implique. Ce qui distingue l’œuvre d’une simple succession d’images n’est peut-être qu’une question de cadrage, mais au regard de sa filmographie si exceptionnelle et diverse, on se laisserait convaincre par la fable sur le talent de certains artistes.