La démocratie n’est jamais acquise et l’année 2020 l’a une fois de plus illustré. Rappelons que dans son évaluation annuelle rendue publique début février, The Economist classe désormais, et pour la première fois, la France comme une démocratie imparfaite (flawed democracy), avec un net recul jusqu’au vingt-quatrième rang international, qui nous situe juste devant les États-Unis. Les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux sont naturellement des facteurs perturbateurs dont les effets délétères sont préoccupants, mais à mes yeux la première responsabilité dans l’émergence de cette ère du brouillage permanent et du flirt avec les régimes illibéraux revient aux personnalités politiques qui se prêtent, apparemment sans le moindre scrupule, à de minables arrangements avec les faits. Il faut sans cesse les confronter avec cette responsabilité, car derrière leurs victoires médiatiques de court terme, elles empoisonnent le débat public à long terme.

Je ne m’éterniserai pas sur la polémique sans fond du mois lancée tel un fumigène par la ministre censée incarner la rigueur scientifique du monde de la recherche afin de détourner l’attention des caméras de l’alarmante précarité étudiante aggravée par la pandémie. Néanmoins, puisque les mots et les actes ont une importance, je recommande quelques lectures du mois écoulé, comme cette étude sur la reprise du concept en question, façonné de toutes pièces par l’extrême droite ou encore cette enquête en quatre temps de Slate qui déconstruit les méthodes du Printemps républicain, ce groupuscule qui inspire la dérive de plusieurs ministres sur le thème de la laïcité.
  Croiser le fer dans l’espoir d’apporter nuances et convictions là où la notion de vérité a cédé le pas à une stratégie de triangulation éhontée, c’est déjà accuser une irrécupérable perte de terrain et de temps à l’heure où le débat se meut si rapidement qu’une petite phrase chasse de nos écrans et de nos esprits les problèmes avérés. Avez-vous davantage du sectarisme vert qui va trop loin en imposant des menus sans viande dans les écoles lyonnaises – ce qui est faux malgré la tentative de manipulation par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation – ou de l’évasion fiscale massive au cœur de l’Europe que met en lumière la solide enquête OpenLux ?

Je m’interromps un instant car Tom Cruise himself souhaite réagir sur ce point. Merci de cliquer ici avant de poursuivre la lecture. 

Voilà. Après les fake news relayées de manière officielle, la prochaine étape dans la guerre de la désinformation va voir déferler, sans doute dès nos prochaines échéances électorales, des vidéos crédibles de personnalités qui n’ont jamais prononcé le discours que vous êtes en train de regarder. Ces vidéos sont appelées « deepfakes » et réalisée grâce à une intelligence artificielle qui parvient à appliquer en temps réel le visage et la voix d’une personne célèbre sur ceux d’une autre qui prononce le véritable discours. En l’occurrence, il semble que les vidéos de « deep Tom Cruise » aient été réalisées avec un sosie de l’acteur, mais on y a cru et même les détecteurs de deepfake ont mordu à l’hameçon. Quand on pense à l’effet massif de vrille cérébrale obtenu par quelques articles complotistes qui annoncent que la Terre est plate et que les vaccins contiennent des puces 5G, on constate que nous ne sommes définitivement pas prêts pour le futur politique qui se présente à nos yeux et dans lequel la vérité sera devenue un denrée rare.