Il se dit que l’intégration européenne n’avance que lorsque l’Union est au bord du gouffre. L’adage avait perdu de son automaticité depuis dix ans : austérité frontale face à la Grèce surendettée en 2010 et lors des rebonds successifs, manque de solidarité et de coordination dans l’accueil des vagues de réfugiés, politiques autoritaires menées au sein de plusieurs États-membres, risque de délitement institutionnel suite au Brexit voté en 2016… A chaque nouveau coup de semonce, l’Union européenne, ciblée de toute part, donnait l’impression d’être trop faible et désunie pour réagir. Alors que le coronavirus a mis tous les États-membres à rude épreuve – plus de 200 000 victimes en Europe et une récession économique sans précédent – une marche historique a enfin été franchie lors du Conseil européen du 17 au 21 juillet 2020.

Pour la première fois, les Vingt-Sept ont accepté d’émettre une dette européenne commune à l’horizon des trente prochaines années pour financer un plan de relance massif de 750 milliards d’euros. Concrètement, après validation par les Parlements européen et nationaux, c’est la Commission qui va s’endetter au nom de tous les États-membres, en plus du budget communautaire pluriannuel de 1 074 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Les fonds de relance serviront en priorité aux pays les plus touchés par la récession, en cohérence avec des plans de transition climatique et numérique. Ils seront pour moitié affectés sous forme de prêts à rembourser par le pays concerné, mais également pour 390 milliards d’euros sous forme de subventions que les Vingt-Sept rembourseront ensemble, sans qu’aucun État-membre ne puisse tout bloquer par son véto.

Après des années de rigueur et de défiance, c’est un tournant qui oriente de nouveau l’UE vers une solidarité et une souveraineté partagées, voire même vers l’essence d’un État présent en parallèle des 27 autres selon l’intéressante démonstration de l’historien et géographe Sylvain Kahn. J’entends que quelques milliards d’euros de dépenses prévues pour des programmes stratégiques ont été perdus dans la négociation avec les pays « frugaux », mais l’essentiel est bien d’avoir arraché cet accord. Derrière cette relance économique devra se confirmer une relance du projet européen dans sa globalité. Les citoyens auront leur mot à dire à ce sujet dès cet automne avec le lancement d’un exercice démocratique inédit à cette échelle : la Conférence sur le Futur de l’Europe. 



Le succès d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et Charles Michel, président du Conseil européen, en poste depuis 2019.