Sans doute pour la première fois, j’ai lu plus de livres que je n’ai vu de films cette année. Je ne compte pas là les bandes dessinées, ce qui doublerait encore le score. Il m’est certes plus difficile d’aller au cinéma avec deux jeunes enfants et après m’être éloigné géographiquement des salles obscures. Même la disponibilité quasi illimitée des films et séries addictives sur n’importe quel écran – nous rattrapons Le Bureau des Légendes des années après tout le monde – ne me détourne pas de manière prolongée de la lecture d’un bon chapitre pour finir la journée.
Mention spéciale, qui explique en partie ce rythme accru, pour la collection Une Heure-Lumière des éditions Le Bélial. Ces courts romans fantastiques et de science-fiction, toujours merveilleusement illustrés par le dessinateur Aurélien Police, sont parfaits pour les trajets en train entre Rennes et Paris. Dans le Bangkok inondé par la mousson qui sert de décor au Dragon de Thomas Day, premier ouvrage de la collection, un policier remonte la trace sanglante d’un tueur en série dont les crimes ciblent le tourisme sexuel. Le Poumon vert de Ian R. MacLeod est abandonné sur la route par l’adolescente Jalila lorsqu’elle quitte, avec ses trois mères, les Hautes Terres de Tabuthal où l’air est trop rare pour une migration saisonnière vers une cité côtière d’où partent des vaisseaux spatiaux et, surtout, où l’on trouve quelques spécimens masculins. Dans Opexx de Laurent Genefort, l’humanité a rejoint le Blend, une communauté intergalactique s’étendant sur des milliers de mondes, qui octroie aux humains un accès à des technologies plus avancées en échange de soldats envoyés dans des missions militaires exotiques dont les pacifiques extraterrestres ne veulent pas se charger. Et d’autres récits qui, en quelques lignes, transportent loin dans le temps et les étoiles.
Réprimant mon attirance première pour les littératures de l’imaginaire, je veille à alterner les genres. Outre Annie Ernaux, j’ai particulièrement retenu dans mes lectures de cette année la plume de Mohamed Mbougar Sarr, Goncourt 2021 avec La plus secrète mémoire des hommes, qui relie un jeune écrivain sénégalais à l’auteur d’un livre envoûtant qui a mystérieusement disparu un siècle plus tôt ; celle de Laurent Gaudé, qui s’illustre dans le magnifique récit mythologique narrant La mort du roi Tsongor et la destruction de tout ce qu’il a bâti dans la guerre entre deux prétendants sanguinaires qui s’affrontent pour la main de sa fille (Goncourt des Lycéens en 2002) ; enfin, s’il fallait en retenir une plus que les autres, celle d’Eric Vuillard qui accuse dans des charges hilarantes et mémorables les pachydermes politiques de la IVe République et les hauts gradés mal avisés qui ont conduit à la débâcle de Diên Biên Phu et à Une sortie honorable (ou pas) d’Indochine. Quiconque porte un intérêt à l’histoire et à la politique y prendra un malin plaisir.