Un vent de révolution présenté comme historique outre-Atlantique vient de souffler sur Wall Street. Il s’est accompagné d’un élan bienvenu de vulgarisation sur les pratiques boursières qui ont conduit à cette « affaire Gamestop ». Pour débuter, Gamestop est une chaîne de magasins de jeux vidéos, propriétaire au passage de l’enseigne française Micromania. La dématérialisation croissante des achats culturels, et notamment des jeux vidéos, rend très incertaine la survie des boutiques physiques. Ces nouvelles victimes annoncées du syndrome vidéoclubs constituent une proie évidente pour les vendeurs à découvert, ou « short-sellers« , qui ont abondamment spéculé ces derniers mois sur la chute en bourse de Gamestop.
Grâce aux explications limpides de Twitter, je suis en mesure de résumer le concept du « short » : un fond d’investissement emprunte un titre qui vaut $10 à un courtier, le revend immédiatement à ce prix en pariant qu’il va rapidement perdre de sa valeur à cause de sa mauvaise réputation – que le fond a lui-même intérêt à alimenter. Si le fond rachète ensuite le titre à une valeur de $5, il empoche la différence au moment de le rétrocéder au courtier. Est-ce éthique quand l’effet quasi-mécanique est la destruction des entreprises visées et de leurs emplois ? Les vendeurs à découvert justifient leur pratique au motif qu’elle assainirait le marché en débusquant les entreprises surévaluées. Toujours est-il que la pratique reste dangereuse pour les vendeurs à découvert. Si, à l’inverse, le titre de l’entreprise passe à $15, ce sera à eux de payer la différence. Précisons maintenant que le titre Gamestop n’a pas pris 50 % de valeur comme dans l’exemple mais plus de 1500 % sur le mois de janvier. De quoi mettre sur la paille des hedge funds dotés de portefeuilles à plusieurs milliards de dollars qui semblaient jusqu’alors tout puissants…
Derrière cette flambée, on découvre l’action simultanée d’une multitude de boursicoteurs amateurs réunis sur un fil de discussion sur Reddit baptisé « Wall Street Bets ». Souvent jeunes et attachés à l’une des marques phares de leur jeunesse, les huit millions de membres du forum ont battu les fonds vautours à leur propre jeu et s’engagent désormais, dans un défi très politique aux institutions financières, à tenir leur position le temps nécessaire pour mener les grands fonds exposés à la faillite. L’élite des loups de Wall Street est furieuse d’être ainsi piégée par la meute et exige des régulations qu’elle rejette habituellement quand elles encadrent ses agissements. Certes, il n’y a pas que des Robins des bois dans l’histoire : le « sub-reddit » semble infesté de suprémacistes blancs, plusieurs micro-spéculateurs en ont profité pour générer des gains à plusieurs zéros, les raids suivants ont été moins efficaces et il est probable que tout finisse par revenir au point initial. Néanmoins, l’inversion brutale du rapport de force présente un caractère jouissif et démontre que la multitude organisée peut aussi imposer sa loi au marché.