Comme le symbole d’une nouvelle page qui se tourne après les deux mois de pause, mon premier rendez-vous post-confinement fut une visioconférence avec notaires pour signer l’achat de notre nouvel appartement. Me voici donc (co)propriétaire d’un domicile idéalement situé entre les deux poumons du nord-est parisien que sont le bassin de la Villette et le parc des Buttes-Chaumont. Bobo – je ne peux plus me voiler la face – mais aussi bourgeois tout court ? Il devient aujourd’hui si difficile aux trentenaires de se loger décemment intra-muros que nous mesurons notre insolente chance. D’autant plus qu’avec nos deux salaires modestes (pour Paris), nous aurions eu de faibles perspectives immobilières sans l’opportunité exceptionnelle qui nous a fait franchir le pas : acheter un appartement situé sur le même palier que notre logement actuel, avec de lourds travaux à prévoir mais sans frais d’agence. Au prix d’un endettement sur une génération – mais comment faire autrement ?
Il y a dix ans, je vous aurais dit que l’achat d’un appartement est le dangereux carcan qui force ensuite les adultes à mener une vie aliénante et sans histoire. Une planète dont je ne percevais pas encore les limites me tendait les bras et je ne comprenais pas mes amis-fourmis qui préféraient épargner pour devenir propriétaires avant trente ans plutôt qu’enfiler leur sac à dos. Pour rester cohérent, peut-être aurait-il fallu tout lâcher ? A l’image de cette ancienne conseillère politique venue se réinventer au cœur de la ruralité bretonne – cela fait plusieurs points communs – et pour qui « vivre à la campagne, c’est sortir d’un système qui n’est bon pour personne. » Sans parler du télétravail qui se développe et rend ces trajectoires géographiques envisageables. Hélas ! Nous sommes deux indécrottables citadins, très heureux d’avoir resserré les chaînes qui nous lient à la ville dense ! Reste la question essentielle : pouvons-nous rester des idéalistes sincères, engagés et insouciants lorsque tourner les pages de nos existences nous propulse de l’autre côté des barrières sociales ?