Lors d’une brillante conférence donnée en début d’année et dont on peut retrouver la traduction « Un grand pouvoir mais aucune responsabilité » grâce aux bénévoles de Framasoft, l’écrivain et journaliste canadien Cory Doctorow dénonçait le rapt d’Internet par les nouveaux empires numériques qui ont dévoyé les principes fondateurs du web. Il déploie depuis 2022 le concept d’une « merdification » (enshittification) des outils, c’est-à-dire leur dégradation volontaire pour toujours plus de rentabilité. Initialement innovants et attractifs pour des utilisateurs qui en deviennent captifs sans en payer le coût réel, les produits se concentrent ensuite sur les usages payants et s’éloignent de plus en plus des intérêts de leurs utilisateurs. La libération de ce cycle infernal selon Doctorow se trouve dans l’interopérabilité. 

Avec Open Source Politics et notre partenaire Startin’blox, nous avons beaucoup travaillé cette année sur ce concept d’interopérabilité et son application aux plateformes de participation citoyenne. Des systèmes ou appareils interopérables peuvent interagir. L’image la plus parlante est sans doute qu’un train de la SNCF peut nous conduire en Allemagne ou en Belgique car les rails utilisent le même standard. Vous recevez cette lettre par courrier électronique quelle que soit l’entreprise qui fournit votre boîte email, car chacune peut le recevoir et vous l’afficher. Pourtant de nombreux services en ligne sont volontairement construits en silo, pour que les fournisseurs du service contrôlent les données et captent la valeur. Même quand il n’y a pas de monétisation du service, les plateformes sont faites pour vivre en autarcie : il vous faut un compte par plateforme et naviguer entre plusieurs logiciels si vous souhaitez participer aux consultations publiques ouvertes aux différentes échelles locale, départementale, régionale, nationale et européenne. 

Les plateformes peuvent être construites différemment : un-e habitant-e doit pouvoir trouver sur la plateforme de sa commune les démarches de sa métropole, tout comme il serait utile à l’échelle européenne que nous puissions collecter et comparer les retours de toutes les plateformes locales sur un même sujet. Dès lors que les outils adoptent le même standard, chacun pourra produire, stocker et gérer ses données sur sa plateforme et les voir interagir avec celles des autres dans un espace de données (data space) plus large. C’est ce que nous avons commencé à développer. Après des mois de travail et d’échanges, nous venons de publier le document de vision qui pose les fondations d’une infrastructure démocratique numérique plus connectée, transparente et collaborative. Nous avons volontairement laissé les questions techniques pour d’autres documents d’approfondissement afin que cette vision demeure la plus accessible possible. Prochaine étape : une présentation officielle de ce projet d’espace de données démocratiques aux institutions européennes en 2026 ?