Il y a cinq ans s’achevait le Grand débat national. Déclenché en réponse au mouvement des Gilets jaunes, ce fut la première des trois grandes démarches participatives initiées par Emmanuel Macron. Elles ont toutes les trois souffert du même mal : le Président de la République n’est pas allé au bout de l’exercice. Conçue dans la continuité du Grand débat, la Convention citoyenne pour le climat, quoique saluée par les observateurs et les participants pendant la conduite de l’assemblée citoyenne, s’est achevée sur la désillusion d’une reprise très incomplète des propositions par le Gouvernement. Quant au Conseil national de la refondation voulu après la réélection en 2022, il a été lancé, décliné thématiquement, mais a disparu sans n’avoir jamais connu ni fil conducteur ni conclusion. Personne ne semble avoir jamais cru à ce dernier gadget ; la confiance était déjà émoussée. En revanche, le Grand débat national avait en son temps trouvé un écho inédit : deux millions de réponses à des questionnaires en ligne, plus de dix mille réunions publiques référencées, et surtout près de 20 000 cahiers de doléances ouverts dans les mairies de toute la France pour recueillir 200 000 de contributions libres manuscrites.
Quelques semaines – on peut le comprendre – n’avaient pas suffi à analyser un corpus aussi gigantesque et hétéroclite ; le Gouvernement avait alors eu tout loisir de ne retenir que ce qui ne contredisait pas sa ligne politique. Le scandale c’est que, cinq ans plus tard, nous en soyons restés à cette synthèse partielle et partiale. Aucune analyse approfondie de ces dizaines de milliers de contributions citoyennes n’a pu être réalisée. Ce n’est pas uniquement une question de moyens, comme le montre le documentaire d’Hélène Desplanques Les Doléances, que France Télévisions diffuse depuis quelques semaines. L’association « Rendez les doléances » créée en 2020 le dénonçait déjà : il y a bien, au sommet de l’État, une vision politique qui ne reconnaît pas de légitimité au « devoir de suite » et ne se sent pas tenue de rendre des comptes.
Les cahiers de doléances sont conservés dans les archives départementales. Même les chercheurs n’obtiennent pas l’autorisation de tous les consulter. En parallèle, il a été exigé des prestataires missionnés sur la synthèse de 2019 de détruire les données à la fin de leur travail, plutôt que de les rendre publiques. À l’image de Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent dans l’Oise et figure suivie par le documentaire, les organisateurs et participants aux débats se sentent trahis et envisagent désormais un recours en justice pour que l’on accède à ces doléances. Aux côtés de nombreux professionnels de la concertation publique, réunis notamment au sein de l’association Débatlab, je milite pour que soit créée une archive centralisée et ouverte de tous les débats publics, à commencer par les doléances du Grand débat national. Est-ce si important, alors que le Covid et la guerre sont intervenus entre-temps ? Je le pense : c’est en ne répondant pas à l’expression citoyenne pacifique, en ignorant le témoignage de la diversité des situations vécues et en ne respectant pas la parole donnée que l’on nourrit l’abstention et les votes de contestation. Passionnantes et souvent émouvantes, les quelques doléances lues dans le documentaire démontrent que la politique, sur la forme comme sur le fond, pourrait être bien différente de ce que l’on subit aujourd’hui.