Avec un jour férié presque toutes les semaines, le mois de mai est toujours à double tranchant. Les beaux jours arrivant, l’on souhaite tenir le travail à bonne distance et pourtant les journées sont encore plus denses que le reste de l’année. Ce paradoxe s’est particulièrement vérifié pour moi cette année, avec d’un côté un alignement optimal du calendrier pour allonger tous les week-ends et, de l’autre, l’impérieuse nécessité de concentrer mon énergie sur les missions d’OSP. Une recette éprouvée pour mettre la pression en sourdine ? L’évasion dans les pages d’une bonne bande dessinée.
L’évasion, je l’ai d’abord recherchée dans Frontier, le nouvel album de Guillaume Singelin. Imaginez – ce n’est plus très difficile – une planète Terre devenue inhabitable et une humanité projetée vers l’exploration et l’exploitation de l’espace, le tout sous la férule d’une poignée de grands conglomérats privés et leurs armées mercenaires. Ji-Soo est une scientifique qui rêvait d’archéologie spatiale, mais dont le projet a été racheté par l’une de ces sociétés géantes, qui décide arbitrairement de l’exiler sur un lointain vaisseau industriel. Ses péripéties la conduisent vers des compagnons de rébellion. Alex est un « spatial » qui n’a jamais connu le berceau originel et dont le corps ne s’habitue pas à une gravité planétaire – une des meilleures facettes du récit à mes yeux, dans la lignée des questionnements existentiels autour des humains non-Terriens de la série de romans The Expanse. Quant à Camina, c’est une redoutable guerrière qui tente de mettre la violence derrière elle, mais dont les vieux démons ne disparaissent jamais complètement – comme c’était déjà le cas pour Jun dans P.T.S.D., le précédent ouvrage de l’auteur. Guillaume Singelin reproduit son style caractéristique, mettant en scène des personnages chibi aux têtes surdimensionnées et très expressives dans des environnements chargés de détails et des décors grandioses. C’est (trop) plein de bons sentiments, mais le dessin est doux et le voyage est au rendez-vous.
L’évasion, je l’ai aussi trouvée dans deux aventures scénarisées par l’excellent Wilfrid Lupano (Un océan d’amour, Les vieux fourneaux) lues ces dernières semaines : Alim le tanneur, une fable de fantasy en quatre tomes qui sort des sentiers battus,très agréable à suivre et joliment illustrée par Virginie Augustin entre 2004 et 2009, et La bibliomule de Cordoue (2021), cette fois-ci en association avec le dessinateur Léonard Chemineau, qui raconte le sauvetage rocambolesque, en traversant la péninsule ibérique du Xe siècle à dos de mule, de quelques dizaines d’inestimables ouvrages issus de la bibliothèque de Cordoue et promis au bûcher par le vizir qui régenta le Califat d’Al Andalus après les règnes cultivés d’Abd el-Rahman III et son fils al-Hakam II. Quelques soirées des semaines précédentes permirent des excursions dans la tragédie africaine de T’zée, le passé du Viking fantastique Thorgal faisant son adieu à Aaricia ou la quête d’eldorato du légendaire pirate Long John Silver. À chaque genre ou époque sa bulle d’évasion – le choix est vaste.