La France n’est sans doute pas un État de droit irréprochable, mais l’essentiel semble encore préservé au regard de la capacité de nos institutions judiciaires à poursuivre et condamner les dirigeants politiques qui, pour certains des plus éminents d’entre eux, ont assurément beaucoup à se faire reprocher.
L’ancien président Jacques Chirac (en 2011), après son Premier ministre Alain Juppé (en 2004), ont été condamnés définitivement pour les emplois fictifs de la mairie de Paris, suivis par l’ancien Premier ministre François Fillon (en 2020) pour celui de son épouse à l’Assemblée nationale. Nicolas Sarkozy porte actuellement un bracelet électronique suite à sa condamnation dans l’affaire Bismuth et le Parquet national financier vient de requérir à son encontre une peine de sept ans de prison dans l’affaire de corruption qui lie le financement de sa campagne 2007 à l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi.
Pour paraphraser Fabrice Arfi, journaliste d’investigation chez Mediapart, lors de son audition parlementaire du mois dernier : “Ça veut dire deux chefs de l’État, deux Premiers ministres, qui ont été définitivement condamnés pour atteinte à la probité. Je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de démocraties libérales comme la nôtre qui aient un tel CV judiciaire.” Une particularité culturelle hexagonale qui a dérivé jusqu’au point, chez une partie de l’électorat, de développer une tolérance, voire une sympathie, pour celles et ceux qui conquièrent le pouvoir en s’affranchissant des règles électorales élémentaires.
Le 31 mars, la condamnation en première instance de Marine Le Pen, aux côtés de plusieurs cadres et élus du Rassemblement national, a déclenché un séisme politique d’une ampleur encore plus profonde. En effet, ce jugement n’intervient pas au terme d’une carrière politique, mais lors de la prise d’élan d’une quatrième candidature à l’élection présidentielle de la favorite des sondages. Les enjeux très forts de cette temporalité rendent la décision de justice encore plus rassurante sur le fond. Marine Le Pen a été jugée coupable d’avoir détourné plus de 4 millions d’euros de fonds versés par le Parlement européen au profit de son parti de 2004 à 2016. Verdict pour elle : quatre ans de prison, dont deux ferme, une amende de 100 000 euros et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, c’est-à-dire d’application immédiate. Seul un jugement contraire en appel d’ici l’été 2026 peut modifier la peine ; à l’heure actuelle, Marine Le Pen ne peut dont se présenter à aucune élection – ni législative en cas de nouvelle dissolution, ni présidentielle en 2027.
Cette « exécution provisoire », dont le double sens politique est savoureux, a été décidée par le Tribunal en raison du « risque de récidive objectivement caractérisé » par la candidate RN qui conteste toujours les faits et s’est défendue en revendiquant de laisser les électeurs trancher en votant ou non pour elle. Ce qui signifie, ni plus ni moins, violer le principe d’égalité devant la loi en demandant une immunité liée à sa popularité politique. Le procès en appel rendra son jugement. D’ici-là, il ne faudra céder aucun pouce à toutes les voix éminentes qui se font entendre aujourd’hui, de quelques insoumis à l’extrême droite en passant par l’essentiel de la droite et le Premier ministre François Bayrou – dont le Mouvement démocrate, rappelons-le, est confronté à des accusations voisines – pour proposer de revenir sur le contenu de la loi Sapin II et notamment sur l’exécution provisoire des peine d’inéligibilité.
