L’été et les Jeux ont temporairement détourné l’attention, mais cela va faire deux mois qu’un Gouvernement démissionnaire gère un peu plus que les affaires courantes. La nouvelle tripartition de l’Assemblée nationale, conséquence de la dangereuse dissolution décidée par Emmanuel Macron au soir des élections européennes de juin, rend le casse-tête institutionnel plus insoluble encore qu’avec la majorité relative sur laquelle s’appuyaient Élisabeth Borne et Gabriel Attal depuis 2022.

Au soir du 7 juin, il y eut d’abord le soulagement du vote anti-RN plus efficace qu’anticipé – mais il est illusoire d’y voir un succès durable tant l’édifice républicain est fragilisé. Sans surprise en revanche : le blocage était craint dès la campagne entre les trois pointes d’un triangle d’impossibilité. Aucun parti n’est incité à atténuer sa ligne ou renoncer aux fondamentaux de son programme – quand bien même de nombreux députés des blocs Nouveau Front Populaire et Ensemble pour la République ne doivent leur siège qu’aux désistements réciproques.

La situation est bloquée depuis deux mois et, même si elle pourrait trouver une issue dans les prochains jours avec la nomination d’un Premier ministre issu de la droite ou de la société civile, nous constatons toutes les impasses. Ce n’est pas nouveau : la Ve République n’est pas adaptée à la tripartition et la constitution de coalitions parlementaires. C’est même précisément dans le but de lutter contre la fragmentation et les alliances incertaines de la IVe République que le Général de Gaulle l’a voulue ainsi !

Rien ne favorise les compromis et les dépassements dans les jeux de tous les acteurs, à commencer par l’Élysée : le président de la République procède lui-même aux consultations et à la sélection ou au rejet des options alors qu’un régime parlementaire aurait laissé la main aux formations politiques. En tant que premier bloc en sièges, le Nouveau Front Populaire aurait dû être officiellement invité à tenter de former une majorité, ce qui l’aurait amené à rencontrer les autres partis engagés par les désistements ; en ce sens, le NFP a adopté une position ouverte en vue de discuter au-delà de son programme. L’union de la gauche aurait peut-être échoué dans cette tentative, en raison de ses tensions internes ou de la non-coopération du centre-droit et de la droite, mais le NFP aurait alors été contraint à céder l’initiative au bloc EPR pour discuter avec les Républicains. Ces discussions de clarification étaient impossibles avec un président de la République positionné en négociateur, arbitre et garant de ses propres intérêts.

Le verdict électoral fait que seule une coalition NFP-EPR est arithmétiquement majoritaire. Elle paraît impossible dans notre système actuel tant il y a de divergences intellectuelles et d’acrimonies interpersonnelles, mais n’y en avait-il pas en Allemagne entre sociaux-démocrates, écologistes et libéraux, et encore plus avant entre SPD et CDU ? N’était-il pas possible de trouver un accord pour douze, vingt-quatre ou trente-six mois autour du vote d’un budget équilibré, de la composition d’une équipe mixte et ouverte sur la société civile, de la définition de points de consensus et de lignes rouges respectives, ainsi que d’une procédure de gestion des conflits ? Voire même d’une date de péremption avec une dissolution annoncée à un horizon certain après le délai minimal d’un an et quelques décisions transversales comme l’instauration d’un scrutin proportionnel ? Voilà une expérience « qui n’a jamais été essayée » et qui aurait mérité sa chance.

Laurence Tubiana aurait sans doute été une très bonne candidate pour incarner une telle transformation à Matignon, mais personne n’avait intérêt à aller aussi loin. La flamme du règne macroniste va bientôt s’éteindre et les appétits s’aiguisent dans chaque camp. Un peu d’espoir réside dans l’apparition de nouvelles personnalités qui dessinent des traits d’union plutôt que des lignes de démarcations. À ce titre, quelle surprise de voir surgir de ce brouillard estival le nom de Lucie Castets ! J’ai partagé avec elle quelques lointains cours de sciences politiques et suivi son engagement pour les services publics. Après ses premiers pas médiatiques réussis, je lui souhaite de rester une force unificatrice après avoir été écartée par le Palais.