Une page s’est tournée et les Lumières politiques qui ont éclairé mon éducation à la chose publique se sont éteintes, à l’image de Jacques Delors et Robert Badinter, tous deux décédés cet hiver. Que leur sagesse nous manque alors que les menaces s’amoncellent sur les années 2020. La formule fait désormais office de règle historique : la construction européenne n’avancerait qu’en réaction à des crises successives. Les cinq années écoulées n’en ont pas manqué ; l’Europe a répondu. Des tabous communautaires ont été levés en matière de solidarité budgétaire et de défense militaire, alors qu’un nouveau format de dialogue avec les citoyens a été ouvert par les institutions. Tout n’est pas aligné avec mes préférences et les épreuves restent redoutables, mais je trouve que les projets menés par la Commission d’Ursula von der Leyen et la mandature parlementaire sortante allaient souvent dans la direction d’une Europe à la fois plus présente et plus puissante.

Un autre poncif récurrent insiste sur la culture du compromis qui conduit à la prise de décisions à Bruxelles et Strasbourg. De fait, sur la majorité des textes, un accord est nécessaire entre sociaux-démocrates, écologistes, libéraux et conservateurs. Les procédures de co-décision font l’objet de mois de travail et de négociation entre la Commission, le Parlement et le Conseil, qui représente les gouvernements des États-membres. Une analyse simpliste invite les extrêmes à dire que toutes les listes se valent en dehors des leurs. Ils n’ont pas tort sur la dernière partie : une majorité fondamentalement eurosceptique aurait des conséquences inédites et néfastes pour toute l’Europe. Ils se trompent en revanche sur la première partie : en réalité, le vrai choix démocratique que nous devons faire en ce 9 juin, c’est celui de l’orientation qu’il faut soutenir dans les prochains rapports de force parlementaires européens.

Il y a cinq ans, de dépit devant le morcellement des candidatures, j’avais tiré au sort mon bulletin parmi les listes dans lesquelles je pouvais me reconnaître. Le paysage électoral a changé. Le RN s’ancre comme le premier parti de France, mais n’a pas de projet constant et cohérent pour l’Europe, si ce n’est de l’affaiblir. Je ne suis pas de ceux qui banalisent ce risque. L’élan pro-européen impulsé par Emmanuel Macron dans le camp libéral-conservateur est en perte de vitesse. La liste conduite par Raphaël Glucksmann présente l’intérêt de pouvoir terminer deuxième sur la ligne d’arrivée hexagonale, ce qui enverrait à la fois un signal politique en France et une délégation plus importante dans le principal groupe de gauche réformiste au Parlement européen. N’oubliez pas qu’il n’y a qu’un seul tour dans ce scrutin proportionnel auquel nous ne sommes pas habitués : ce sera ce dimanche 9 juin et il est encore temps de vérifier votre bureau de vote et de trouver un plan procuration.