Cela ne se vérifie sans doute pas scientifiquement, mais la gravité qui pèse sur nos cœurs et nos esprits semble s’être encore renforcée ces dernières semaines. Le cycle de la violence israélo-palestinien s’est de nouveau emballé après l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et la riposte militaire qui met la bande de Gaza aux abois. Trois ans après Samuel Paty, un nouveau professeur, Dominique Bernard, a été assassiné dans son établissement à Arras le 13 octobre. En parallèle, la guerre se poursuit et se durcit en Ukraine – et ailleurs sur le globe à moindre bruit.
Dans ce contexte de furie et de fracas, de poussière et de sang, un autre décès, sans doute plus paisible, est passé au second plan. Celui d’une personnalité dont l’intelligence éclairait les nuits étoilées de mon enfance et les questions métaphysiques de notre époque : l’astrophysicien québecois Hubert Reeves est mort à Paris, lui aussi le 13 octobre dernier, à l’âge de 91 ans. Reconnaissable à sa voix chantante, son regard rieur sous des sourcils broussailleux et sa barbe de magicien de légende, il me donnait envie de lever la tête vers le champ stellaire et de me plonger dans ses secrets.
Au sein de mon panthéon personnel, c’est son visage qui incarnait le palais de la découverte – le lieu comme le concept d’éveil aux sciences. Ma vocation pour l’astrophysique s’est rapidement heurtée au mur des frustrations mathématiques à l’adolescence, mais l’essentiel était assuré. Comme le génial vulgarisateur qu’était Hubert Reeves l’indique dans la magnifique série d’entretiens enregistrée avec Camille Juzeau en 2019 pour France Culture, il est crucial que les enfants découvrent l’histoire et la magie de l’espace lorsque leur curiosité et leur capacité d’apprentissage sont au sommet, vers 8 à 10 ans, car ensuite il serait trop tard pour susciter le même émerveillement.
Chaque étape de la vie d’Hubert Reeves, que j’ai en partie découverte en écoutant ces émissions, fut fascinante. Né en 1932, il fut impliqué durant ses études en pleine Guerre froide dans les débats scientifiques autour de la bombe atomique, puis devint conseiller scientifique de la NASA qui se préparait au début des années 1960 pour son objectif Lune. Il faut l’écouter parler du vertige humain face à notre pouvoir d’autodestruction tant les échos actuels sont manifestes. Alors que notre époque caractéristique d’un égocène qui nous entraîne vers le repli sur nous-mêmes et la crainte d’autrui, il est réconfortant d’écouter et relayer les poétiques paroles d’un sage universel dont la voix ne doit pas s’éteindre parmi les étoiles.