J’avais d’autres projets moins sombres pour cette lettre mensuelle, mais il m’est impossible de ne pas réagir à mon tour à la mort de Nahel M. et à l’embrasement de colère qui a suivi dans les quartiers populaires. Mes trois années passées à la mairie d’Aubervilliers entre 2012 et 2014 puis l’accompagnement des démarches participatives numériques de la mairie de Nanterre depuis fin 2015 (là où tout a commencé pour OSP) continuent de me relier émotionnellement à ces communes et au sort de leurs habitants. « Je pense que toute personne ayant connu un contrôle au faciès s’est sentie concernée par cet événement » témoigne, par exemple, un jeune interrogé par le Bondy Blog, journal en ligne né à la suite des événements de 2005 pour donner directement la plume et la parole aux habitants des cités, dont les autres médias parlent tant sans leur tendre le micro et les citer.
Les attaques physiques, les images de pillages et les destructions matérielles qui ont émaillé la semaine dans toute la France sont inadmissibles. Les familles, élus et associations de terrain les ont unanimement condamnées. Fort heureusement, elles semblent en recul, mais cela ne signifie pas que la situation soit apaisée. Nahel M. avait 17 ans quand il a été tué le 27 juin à Nanterre par le tir d’un policier lors d’un contrôle routier. Comme les émeutiers des dernières nuits, décrits comme très jeunes, il n’a pas connu l’automne 2005. Présentée comme plus intense que celle de leurs aînés, la violence qu’exprime cette nouvelle génération questionne : la résurgence des effets démontre la persistance des causes. Malgré les programmes de rénovation urbaine, les quartiers et leurs résidents restent stigmatisés. Ils sont plus éloignés de l’insertion sociale et de l’emploi, ont accès à moins de services, sont victimes d’inégalités et de discrimination notamment raciale, y compris et peut-être surtout de la part des dépositaires de l’autorité publique.
Le problème structurel de racisme et d’exercice disproportionné de la violence au sein des forces de l’ordre est désormais bien documenté. Parce qu’elle s’affranchit souvent du respect élémentaire que l’on doit exiger de tout représentant de la République, l’intervention de la police nourrit le cycle de la violence au lieu de l’empêcher. Une enquête du Défenseur des droits en 2017 indiquait déjà que les jeunes noirs ou arabes ont vingt fois plus de probabilité d’être contrôlés par la police. Plus de deux tiers des 250 000 policiers en exercice voteraient pour l’extrême droite d’après un sondage de 2020. La semaine dernière, les syndicats Alliance et Unsa Police ont immédiatement employé un vocabulaire belliqueux et séditieux dans un communiqué à la teneur hallucinante. Il n’est pas possible de fermer les yeux sur les « profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l’ordre », dixit le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en réaction au tir meurtrier dont a été victime Nahel M. Que faut-il de plus ?
L’enchaînement des événements nous laisse tristement effarés. Dès lors, il est salutaire de suivre l’analyse de celles et ceux qui ont étudié l’attente de justice sociale dans les quartiers populaires. Citons par exemple le sociologue François Dubet qui évoque le manque de débouchés politiques comme moteur des révoltes cycliques des banlieues. Des initiatives tentent justement d’organiser la mobilisation des catégories populaires historiquement sous-représentées dans le monde politique. C’est le cas du stimulant projet de recherche-action « Démocratiser la politique« . Initié par le compère Taoufik Vallipuram (ancien président de Ouishare France), il figure parmi les premières démarches soutenues financièrement par la nouvelle fondation Multitudes, qui s’est lancée en juin grâce à l’impulsion de sa co-directrice Sarah Durieux (ancienne directrice de Change.org en France). L’ambition de ce fonds n’est pas mince : réimaginer la politique en Europe et nous redonner un peu d’espoir de changement, à Nanterre et ailleurs.