Le week-end du 21 au 23 avril, j’ai eu la chance avec deux collègues impliqués lors de la Conférence sur l’avenir de l’Europe d’être invité à Bruxelles comme observateur de la dernière des trois sessions du panel citoyen sur les mondes virtuels. Le sujet peut valoir un haussement de sourcils, à l’heure où même le groupe Meta (ex-Facebook) réduit les ambitions de son métavers. Pourtant, les dispositifs d’assemblée citoyenne sont particulièrement adaptés pour poser le cadre dans les domaines émergents où la puissance publique n’est pas encore clairement positionnée – il serait pertinent d’en faire de même pour discuter des impacts des IA génératives qui s’imposent à grande vitesse.
Le Covid est derrière nous : après deux années de travail en visioconférence avec les équipes de la Commission européenne et ses prestataires, c’était tout d’abord un grand plaisir de rencontrer, souvent pour la première fois, ces personnes qui rendent possible cet approfondissement de la démocratie européenne que j’avais projeté dans mes rêves ou projections. Leur travail est encore invisible pour le plus grand nombre, mais il est essentiel pour donner corps aux principes fondamentaux d’une Union qui se retrouve plus isolée dans le nouvel équilibre des puissances.
Concrètement, comment fonctionne un panel européen ? Environ 150 personnes de plus de 16 ans sont tirées au sort dans les 27 États-membres et réunies durant trois week-ends sur un trimestre. Le premier permet de circonscrire le sujet – ce qui n’était pas évident ici. Le deuxième a lieu en distanciel et permet de préciser les valeurs principales à appliquer à différentes thématiques, qui sont ensuite travaillées en douze sous-groupes. Le troisième permet de produire, toujours en sous-groupes, des recommandations sommaires – 23 dans le cas présent – puis de les voter, parfois lors d’un vote binaire classique, mais cette fois-ci la règle du jugement majoritaire était retenue. Des experts extérieures et des fonctionnaires de la Commission sont auditionnés, et deux professionnels assurent la facilitation des discussions au sein de chaque sous-groupe. La formule reste encore perfectible. Il apparaît notamment qu’une quatrième session de débats avant le vote ne serait pas superflue, alors que la récente Convention citoyenne sur la fin de vie comptait neuf étapes. Tout cela représente bien entendu un coût important.
Il y a néanmoins énormément de points positifs à retirer de ce que nous avons pu observer. Tout d’abord, beaucoup de moments sont prévus pour recevoir des retours et questions des participants. Le fait que des ambassadeurs d’un autre groupe viennent réagir aux recommandations en cours de rédaction, qui sont négociées mot à mot comme un accord international, permet aussi de croiser les regards sur des questions adjacentes. Le groupe que j’ai principalement observé travaillait sur les orientations éthiques et technologiques à adopter pour le secteur ainsi que sur les besoins de financements pour éviter que toute l’innovation soit concentrée dans les grandes entreprises privées américaines. Les douze membres (Daniel, Johanna, Harald, Otto, Viktorie, Krasimir, Polya, Zlatka, Tamara, Clotilde, Maria Ilaria, Antonino) venaient d’Allemagne, de Bulgarie, d’Italie et de République tchèque. Le groupe représentait toutes les générations. Il n’est pas facile de créer de la cohésion dans un tel groupe (les Allemands étaient regroupés d’un côté de la salle, les Italiens de l’autre), ni de sortir des phénomènes habituels de parole monopolisée par certains face à la timidité des autres…
Intervient alors le maillon essentiel de cet exercice d’intelligence collective en vingt-quatre langues : les traducteurs ! Chaque panel mobilise presque autant d’interprètes que de participants, et ces derniers bénéficient des conditions de travail des diplomates, avec leurs casques alimentés par les fabuleux polyglottes qui opèrent depuis des boxes vitrés. Alors que les recommandations en cours d’écriture passent à la moulinette d’une traduction automatique parfois défaillante, les arguments échangés à l’oral sont interprétés en temps réel. La conséquence est notable : les panélistes nuancent presque toutes leurs réactions d’un « j’ai peut-être mal compris ce que vous avez voulu dire » ou d’un « je ne sais pas si mon point de vue a été bien traduit« . Les postures s’en trouvent fondamentalement changées.
Pour Open Source Politics, l’observation de cette expérience délibérative est très inspirante. Certes, nous sommes principalement spécialisés dans le déploiement d’outils numériques au service de ces dispositifs, mais nous avons aussi vocation à les (co)animer – nous l’avons fait avec les deux éditions de l’Assemblée citoyenne de Nancy et la Convention citoyenne étudiante de l’UPEC – nous venons d’ailleurs de publier un guide tiré de ce projet. Alors qu’il est nécessaire de trouver un nouveau souffle aux plateformes participatives, nous travaillons depuis plusieurs mois pour étendre le champ de notre conseil à la facilitation de démarches hors ligne avec des ateliers citoyens, des fresques du climat ou du numérique et de nouveaux outils d’évaluation.