Pendant quelques jours en février, la découverte et l’abattage d’un ballon espion chinois survolant depuis la haute atmosphère des sites stratégiques américains a relégué la guerre en Ukraine dans l’actualité de notre époque conflictuelle. Cela ne devrait plus nous surprendre : toutes les puissances s’espionnent mutuellement et nous espionnent au passage. Nous ne sommes informés que de la portion minimale de ces secrets qui ne peut être cachée.
Ce monde terrible et fascinant du renseignement, nous avons l’impression de mieux le connaître après le visionnage tardif des cinq saisons du Bureau des Légendes (2015-2020), que nous achevons ces jours-ci. Les légendes, ce sont ces vies parallèles inventées pour couvrir les agents en mission sur les terrains les plus hostiles de la planète. Pendant six ans, Paul Lefebvre, alias Malotru, de son vrai nom Guillaume Debailly, a brillamment infiltré, informé, recruté des cibles sous sa couverture de professeur au lycée français de Damas. À son retour dans les locaux parisiens de la DGSE boulevard Mortier, il refuse, en dépit des interdictions implacables du milieu, de couper les attaches affectives qui le relient à sa vie syrienne. De cette dangereuse duplicité débute une spirale infernale de bluff et de mensonges, de trahisons et de retournements. Chaque faux pas risque de mettre en danger la sûreté des autres « clandés » encore sur le terrain et de fragiliser tout le renseignement français.
Créée et orchestrée par Éric Rochant, la série brille par son écriture, réaliste et spectaculaire, ménageant un suspense terrible ou élevant le débat pour mêler la puissance de la fiction à l’actualité géopolitique contemporaine. Du terrorisme islamiste aux cyberattaques russes en passant par les secrets du programme nucléaire iranien, tous les sujets sont abordés sous l’angle de celles et ceux qui anticipent et réagissent pour protéger nos sociétés de maux plus grands encore. Hormis l’absence de la Chine et, dans une moindre mesure, du cadre de coopération entre Européens, les grands joueurs de ce monde parallèle que sont la CIA américaine, les soldats de Daesh, le Mossad israélien ou le FSB russe sont tour à tour impliqués, rivalisant d’intelligence et de cruauté envers leurs cibles, maintenues comme les spectateurs sous pression permanente. La galerie de personnages, emmenée par l’emblématique Malotru qu’incarne Mathieu Kassovitz, nous devient étrangement familière. Pourtant, les vies dans l’ombre de leurs véritables homologues, faites de risques et de sacrifices, paraissent si éloignées des insouciantes existences qu’ils nous permettent de mener.