Le 24 février marquera le triste jalon d’un an de guerre en Ukraine. Il n’est pas nécessaire d’en rajouter sur l’injustifiable agression russe, les crimes abjects, les vies sacrifiées et les menaces qui planent encore sur la centrale nucléaire de Zaporijjia et d’autres territoires. Il est compliqué d’imaginer les conditions d’une paix juste avec la Russie. Négocier avec Vladimir Poutine revient déjà à entrer dans son jeu et reconnaître ses termes – en cela, je suis aligné avec les arguments listés par le politologue franco-géorgien Thorniké Gordadzé chez Terra Nova. Il n’y aura pas de paix tant que le Tsar sera au pouvoir.
Le Tsar, c’est ainsi qu’est surnommé Vladimir Poutine dans le grand roman de l’année écoulée, Le Mage du Kremlin, écrit avant le conflit mais entré terriblement en résonance à sa sortie avec les actualités dramatiques du front ukrainien. La plume virtuose du franco-italo-suisse Giuliano de Empoli rencontre Vadim Baranov, personnage fictif librement inspiré de Vladislav Sourkov, qui fut un proche conseiller de Poutine de son accession au pouvoir en 1999 jusqu’aux Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Enfant privilégié des élites moscovites subitement désœuvrées après l’effondrement du monde soviétique, témoin de l’enrichissement sauvage des oligarques dans les années 1990 en tant que metteur en scène et producteur de télévision, ce « mage du Kremlin » retiré soudainement de l’exercice du pouvoir se confesse en philosophe un peu trop détaché au narrateur. Le procédé littéraire peut être remis en cause, mais la lecture reste passionnante de bout en bout.
Le grand mérite de l’ouvrage est de nous installer par l’intermédiaire de « Vadia » dans le dialogue avec Poutine, dépeint en théoricien froid et fou d’un rapport de force permanent qui s’appuie sur la manipulation, la violence et la peur, aussi bien sur la scène intérieure que dans les relations internationales. Depuis la seconde guerre de Tchétchénie qui a permis dès 1999 à l’ancien agent du contre-espionnage d’asseoir son pouvoir illibéral jusqu’à l’annexion de la Crimée en 2014, l’ouvrage fait transparaître le ressentiment anti-occidental du président russe ainsi que sa détermination inflexible. Il nous fait comprendre qu’il n’y aura effectivement pas de paix tant que le Tsar sera au pouvoir…