Appliquer les principes démocratiques au sein d’Open Source Politics est une source de réflexions et de motivation que nous poursuivons en parallèle de la conduite de notre activité depuis le premier jour, il y a bientôt sept ans. Comme je l’annonçais en janvier, cette année marque une transition importante pour notre équipe, pas tant sur le cadre de nos missions que sur la structure que nous bâtissons pour les remplir. Assez naturellement, cet exercice de redéfinition commence par la tête et passe, chez moi, par l’introspection des derniers mois sur mon rôle dans tout cela.
Pendant longtemps, notre gouvernance expérimentale s’est matérialisée dans la collégialité du quatuor fondateur : quatre associés aux convictions communes et aux compétences très complémentaires, possédant chacun un quart du capital, prenant toutes les décisions stratégiques et opérationnelles en grande harmonie. S’il y a toujours eu une co-gérance administrative, elle ne remettait pas en cause l’horizontalité entre nous. L’entreprise a grossi de manière organique, les profils se sont spécialisés, les décisions se sont multipliées et notre inclinaison a été de suivre les aspirations collectives plutôt que d’accélérer les étapes d’une structuration contraignante. Ne pas incarner pleinement la fonction patronale ni fixer de business plan pluriannuel a pu jusqu’à ce jour déboussoler des membres de l’équipage, mais cette attitude nous a aussi garanti une certaine résilience et sans doute donné la liberté d’explorer d’autres outils et de nous renouveler.
Nous avons retardé la verticalisation des décisions au profit de tentatives de décentralisation. Si nous ne sommes pas allés au bout du déploiement de la sociocratie, nous avons cherché à rassembler un maximum de mains derrière le gouvernail. De quatre à huit puis aujourd’hui douze, avec les salarié·es en CDI depuis plus d’un an, nous nous réunissons deux fois par mois pour partager les décisions de positionnement, d’investissement et de recrutement, dans un effort croissant de transparence et de compréhension des chiffres et des enjeux. Cette composition n’est que temporaire et celles et ceux qui nous ont rejoint plus récemment ou sous d’autres formes de collaboration demandent à juste titre leur voix au chapitre. En contrepoids, des référent·es hiérarchiques ont été désigné·es dans chaque équipe et mon propre rôle a évolué vers un poste de directeur général. Un mélange de chef d’orchestre, d’entrepreneur, d’employeur, de chief executive officer… bref, un patron.
Comprendre ce qui distingue cette casquette supplémentaire et construire ma nouvelle zone d’équilibre n’a pas été une évolution spontanée. Il ne s’agissait pas d’un refus des responsabilités ni d’une crainte de ne pas les assumer, mais du questionnement de certaines attentes et postures. Mon co-gérant Olivier a eu la bonne idée de me faire lire en décembre l’essai d’Arthur Brault-Moreau intitulé « Le syndrome du patron de gauche » (2022). Sans adhérer à la forme, j’ai trouvé dans ce regard critique des réponses personnelles sur le fond.
Le déclic primordial est lié à la part de militantisme qui a animé OSP depuis la création. C’est parce que le sens profond que je donne à ce que nous faisons n’a jamais été flou à mes yeux que j’ai mis du temps à comprendre qu’il était nécessaire de remettre à plat une vision, des valeurs, une culture d’entreprise. C’est parce que nous avons donné sans compter dans les premières années, mais aussi parce que je me suis engagé avec le même tempérament dans mes précédentes expériences politiques et professionnelles, qu’il m’a fallu faire un long travail sur moi-même pour reconnaître comme légitimes plutôt que capricieuses les demandes de nos collègues envers leurs employeurs. En interrogeant des salarié·es qui ont souffert de leurs relations de travail toxiques auprès d’élu·es, dans des associations ou dans le monde culturel, autant de secteurs où la passion pour la cause est souvent invoquée pour justifier les abus, le livre-enquête pointe les pièges que représentent l’excès d’informel dans les rapports de subordination ainsi que l’inconfort schizophrène des dirigeants « de gauche » vis-à-vis des revendications et contre-pouvoirs, notamment syndicaux, qu’ils peuvent pourtant défendre en dehors de leur organisation. Même si les choses n’ont jamais atteint de graves proportions chez nous et alors que je pense que mon management reste éloigné des archétypes décriés, j’ai pris conscience que pareilles situations ont pu ou sont susceptibles de se produire chez OSP, comme dans toute entreprise.
Cette prise de recul m’a apporté la dose d’apaisement qu’il me manquait il y a encore un trimestre pour aborder sereinement la mue d’Open Source Politics et mon leadership – encore un terme inatisfaisant – dans cette transition. À ma décharge, les imaginaires collectifs associés à l’entrepreneur et au patron restent largement à déconstruire avant de rendre possible une véritable démocratisation interne des organisations. Ces modèles n’ont pas été les miens, mais leurs représentations infusent. En participant à la fondation d’OSP, je n’ai jamais été motivé par la perspective de l’exit, c’est-à-dire l’optique de m’enrichir en revendant mes parts pour récompenser ma prise de risque initiale – cela aurait de toute façon été un peu contradictoire avec le choix d’un modèle économique fondé sur l’open source. Je ne me suis jamais non plus senti très à l’aise avec l’égo patronal, qui estime normal de capter, par l’intermédiaire des dividendes, une rémunération tirée de la production collective qui mériterait d’être redistribuée plus égalitairement. Par conséquent, avant de refonder un nouveau chapitre sur des bases plus inclusives et coopératives, il nous reste à trouver comment reconnaître, à sa juste valeur matérielle et symbolique, la part du succès accumulé qui revient à l’impulsion et aux efforts des co-fondateurs.