Il y a exactement cinq ans, je me suis demandé comment expliquer le monde en 30 phrases. Il y eut entre temps les expériences bouleversantes des confinements et de la paternité, la recrudescence des conflits et le ressenti des effets croissants du réchauffement planétaire, mais je constate, au jour de mes 35 ans, que je reste, à quelques mots près, en accord avec ce que j’écrivais. Sans doute la forme comme le fond ne sont que le reflet de ma propre condition d’homme blanc européen gâté par l’existence, mais l’horizon universel est difficile à atteindre. Privilège de l’âge, je me suis octroyé le droit d’agrémenter l’inventaire des premières images époustouflantes captées du fond des âges par le James Webb Space Telescope.
1. Étendus sur l’herbe de notre Terre originelle à contempler le ciel étoilé d’un univers dont nous ne connaissons pas la fin, nous sommes des êtres vivants qui prenons conscience de notre unicité respective et – jusqu’à preuve du contraire – collective.
2. Nous respirons, nous ressentons, nous avons des besoins primaires qui rythment nos cycles naturels de la naissance à la mort : manger et boire, uriner et déféquer, dormir et nous déplacer, voir chaque jour le Soleil et la Lune alternativement se lever, se coucher et parfois se croiser.
3. Nous sommes des animaux sociaux, qui avons créé et fait évoluer différents langages oraux puis écrits pour communiquer entre nous et partager nos pensées et nos émotions, interactions sans lesquelles nos existences perdent une majeure partie de leur sens.
4. Nous sommes doués de réflexion et capables d’abstraction, et par conséquent d’imagination et d’invention, les deux moteurs positifs qui ont permis à l’humanité de progresser, génération après génération, puis à un rythme exponentiel depuis trois siècles.
5. Nous sommes confrontés à des énigmes métaphysiques – qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? qu’y a-t-il après la mort ? pourquoi ? – auxquelles nous tentons de répondre depuis des millénaires par des quêtes spirituelles et des recherches scientifiques multiples.
6. Nous héritons des connaissances de nos aînés, de leurs découvertes comme de leurs erreurs, des richesses et des dettes qu’ils ont accumulées, jusqu’à ce qu’à notre tour, à mesure que le temps s’écoule, nous transmettions nos acquis à nos successeurs, faisant de chaque vie un apprentissage itératif.
7. Nous appartenons à plusieurs communautés d’amitié ou de projet, qui forment des cellules sociales au sein desquelles s’observent de manière récurrente des tempéraments, qualités et défauts distincts et complémentaires, qui nous rappellent nos caractères imparfaits et nous (appellent, pour éviter la répétition) invitent à des compromis.
8. Nous sommes progressivement devenus comme maîtres et possesseurs de la nature, de la cueillette de ses fruits en passant par la (cultivation, sic) culture de ses terres et la domestication de ses créatures, jusqu’à troubler ses équilibres, engendrer un changement climatique et consommer en sept mois les ressources qu’elle peut produire en douze.
9. Nous sommes désormais majoritairement sédentaires et urbains, après avoir été des nomades, des ruraux et des marins, ce qui entraîne à l’échelle planétaire une concertation des populations dans des villes sans cesse plus grandes et interconnectées, avec le risque que soient délaissés les territoires moins attractifs.
10. Nous organisons nos prises de décisions collectives par des régimes politiques dont les degrés d’ouverture et d’efficacité varient selon les époques, les territoires et les échelles, sur un spectre allant de la concentration des pouvoirs entre quelques mains autoritaires à l’exercice d’une souveraineté populaire également distribuée entre les citoyens.
11. Nous dépendons de la sécurité de notre environnement pour construire nos projets sereinement, et nous avons confié à nos institutions publiques la mission de nous défendre en leur octroyant le monopole de la violence légitime – que ne sauraient exercer des acteurs agissant pour leurs intérêts propres.
12. Nous continuons de nous battre à travers le globe pour le contrôle d’innombrables territoires, ressources, symboles ou populations, mais nous disposons aussi d’exemples vertueux de luttes non-violentes et de réconciliations pacifiques qui nous montrent la voie d’une sortie des cycles éternels de vengeance et de guerre.
13. Nous recourons pour arbitrer nos conflits et faire respecter nos libertés fondamentales à des procès devant des institutions juridiques spécifiques, qui doivent être indépendantes des pressions de toutes formes pour rendre la justice en vertu de lois devant lesquelles nous demeurons tous égaux.
14. Nous réagissons face aux injustices, généralement provoquées par l’arbitraire des plus forts et l’inégale répartition des richesses, deux situations de déséquilibre que nous évaluons selon nos propres sensibilités, elles-mêmes issues de nos valeurs, de nos expériences et de notre position dans le corps social.
15. Nous échangeons pour acquérir ou utiliser des biens et services que nous produisons ou désirons, et nous avons créé des monnaies pour donner une valeur à nos travaux et nos transactions, ainsi que des banques auprès desquelles emprunter et épargner de l’argent.
16. Nous spécialisons nos activités afin de maximiser notre productivité sur des tâches correspondant à nos compétences, avec la perspective d’un gain réciproque maximal dans l’échange, et profitons ainsi des gains de productivité pour progressivement baisser les coûts et la durée du travail.
17. Nous accumulons un capital formé des revenus de ce que nous produisons ou des rentes de ce que nous possédons, richesses vouées à être réinvesties ou transmises sur lesquelles nous reversons des impôts assurant le financement de nos services publics.
18. Nous équilibrons les rapports de subordination inhérents entre employeurs et employés par des règles issues de conquêtes et négociations sociales, qui définissent notamment les conditions de travail, d’assurance vis-à-vis des risques d’accident, de maladie, de chômage et de retraite.
19. Nous nous formons tout au long de notre vie aux enjeux nécessaires pour participer activement aux orientations de nos sociétés de la manière la plus équitable et démocratique possible, malgré la persistance des inégalités d’accès, de compréhension et de pouvoir effectif.
20. Nous tentons de réduire la part des inégalités acquises durant l’éducation des jeunes générations en renforçant les enseignements fondamentaux dès la petite enfance et en luttant contre les stéréotypes dont germent les discriminations fondées sur le sexe ou l’origine.
21. Nous nous émancipons grâce à des parcours de plus en plus ouverts et individualisés à travers la pratiques des arts, des sports, des jeux et des voyages qui ouvrent nos corps et nos esprits sur l’altérité, l’ingéniosité, l’effort et la beauté.
22. Nous nous identifions à différents repères personnels et collectifs, qui peuvent varier avec le temps en fonction de notre degré de confiance et de satisfaction, selon une tendance à nous refermer sur nos racines en période difficile et à développer notre tolérance et notre curiosité en phase d’expansion.
23. Nous augmentons nos déplacements et nos consommations énergétiques à mesure que nos activités croissent, exploitant pour cela toutes les ressources naturelles disponibles et entraînant d’abondantes pollutions que nous tentons de réduire en utilisant davantage d’énergies propres et renouvelables.
24. Nous prenons conscience de l’impact de nos modes de vie et d’alimentation dégradés sur notre santé, malgré la nette augmentation de l’espérance de vie et les nouvelles promesses de soins liées aux progrès de la science et de la médecine.
25. Nous commençons à adapter nos actes de consommation au défi immense du changement climatique que l’activité humaine a démultiplié, qui va entraîner une montée des eaux, de nombreuses migrations et des menaces sur la survie même de nombreuses espèces animales et végétales.
26. Nous transformons toutes nos activités par l’intermédiaire de la révolution numérique, qui a réduit les distances et l’influence des intermédiaires, rendu possible et accompagné les excès de la financiarisation et de la mondialisation de l’économie, en même temps qu’elle étendait le partage de toutes les connaissances.
27. Nous sommes pris de vertige devant l’accélération du temps et des technologies, qui nous libèrent en même temps qu’elles nous aliènent, avec une sécurité renforcée au prix d’une surveillance généralisée et un confort obtenu par la robotique, l’intelligence artificielle et le transhumanisme qui se développent sans réels garde-fous.
28. Nous constatons que les inégalités ne cessent de croître malgré la sortie de l’extrême pauvreté de centaines de millions d’humains au cours des dernières décennies, mais quel que soit le niveau d’apathie, il restera toujours des révoltés qui agiront pour un changement porteur d’équilibre social.
29. Nous nous en remettons toujours à des meneurs, dont l’autorité doit changer : en gravissant le pouvoir comme une tour on se brûle les ailes ; en s’abritant derrière la construction d’un mur on stimule peur et rancœurs qui nourriront les prochains conflits ; nous devons être des ponts qui relient des mondes et garantissent les collaborations vertueuses.
30. Nous nous assagissons en comprenant le caractère cyclique de nos existences, sans cesse confrontées aux mêmes questionnements et à de nouvelles opportunités, en quête de sens et d’amour avant de s’éteindre à leur tour pour former de la poussière d’étoiles.