Dans le flot des actualités périssables du petit matin, il arrive qu’une nouvelle vous saisisse d’une sincère et tenace émotion. Vous y repenserez pendant la journée, puis elle vous accompagnera les jours suivants. Comme beaucoup je crois, j’ai été touché par l’interview radiophonique d’Axel Kahn le 17 mai. Avec une sagesse qui force l’admiration, le grand médecin et essayiste y indiquait se mettre en retrait de la présidence de la Ligue contre le cancer et de ses autres engagements, en raison de cette redoutable maladie qui ne lui promettait plus que quelques jours à vivre.

Impuissants, nous avons tous souffert de la perte de parents emportés par ces cancers qui demeurent si imprévisibles et injustes à tout âge. Toutefois, si j’ai été particulièrement ému par l’annonce d’Axel Kahn, c’est aussi en raison du vif souvenir que j’ai gardé d’une conférence sur la bioéthique qu’il avait donnée au lycée Buffon durant mon année de terminale. Lui-même ancien élève du même établissement, il avait mis en perspective ce soir-là, grâce à la brillante et simple éloquence de ses prises de parole, les tensions philosophiques enfouies derrière chaque avancée scientifique et médicale.

Me revient notamment l’exemple d’un couple de parents dont le jeune enfant serait atteint d’une maladie génétique incurable sans une greffe compatible qui ne pourrait venir que d’un frère ou d’une sœur à naître, mais avec la contrainte de vérifier à l’avance que son patrimoine serait exempté de l’anomalie à guérir. Dès lors que la médecine rendrait possible l’altération positive du génome, comment justifier de ne pas y recourir ? Les implications sont vertigineuses et m’interrogent encore : quelle différence et quelles limites placer ensuite face à la généralisation d’un clonage mélioratif ou simplement de confort ?

Après une année où la valeur des vies humaines aura été constamment soupesée en regard de nos sacrifices personnels et de nos incertitudes sociétales, il est certain que celle d’Axel Kahn aura été marquante. Sans doute parce qu’il aura su partager à tous ceux qu’il a formés – ou qui, comme moi, l’ont suivi de loin – la recette simple de son existence « intensément heureuse » : « Qu’est-ce que le bonheur ? C’est le moment à partir duquel vous vivez ce que vous espériez vivre. »

Chaque nouvelle « aurore bleuissante » qu’il se réjouit de voir justifie son lot de gazouillis militants et emplis de sérénité stoïcienne. Ceux qui guettent ses derniers messages partagent cette inquiétude qu’avec lui disparaîtra une voix précieuse de cette rationalité d’un autre temps, qui devra continuer de nous inspirer mais déjà nous manque tant.