2020 aura été pour tout le monde une année éprouvante, même lorsque de grands bonheurs personnels l’ont illuminée. Le sens de la vie, le rôle du travail et la place de la culture ont été questionnés chez chacun de nous par la pandémie et la contrainte de limiter nos activités à l’essentiel.
À sa manière, Joe Gardner est l’une de ces âmes en peine : professeur de musique désabusé par sa classe d’adolescents dissipés, il miroite de loin le rêve de vivre pleinement de sa passion pour le jazz. Le jour où il est titularisé par son établissement, un ancien élève lui présente l’opportunité unique de remplacer au pied-levé le pianiste de son quatuor. Transporté par sa chance, il oublie de regarder où le portent ses pas et tombe dramatiquement dans une bouche d’égout. Il se réveille sur le tapis roulant qui mène les âmes défuntes jusqu’à l’aspiration solaire finale. Un plongeon dans le vide semble être sa seule échappatoire. Il atterrit dans le monde prénatal, aux teintes bleues et mauves, où les âmes vierges sont orientées vers des caractères et des passions avant d’être parachutées sur les nouveaux-nés qui hériteront de ces traits. Les créatures linéaires qui régissent cet espace confient à l’âme de Joe Gardner la mission d’orienter « 22 », une âme récalcitrante et misanthrope qui ne voit pas ce qui peut l’attendre de positif sur Terre.
Soul est une nouvelle démonstration du savoir-faire des studios Pixar. Depuis la révolution Toy Story il y a 25 ans, la succession de leurs excellents films d’animation en images de synthèse est impressionnante : Le Monde de Nemo, Les Indestructibles, Ratatouille, Là-haut, Coco et, s’il ne devait en rester qu’un pour moi, Wall-E. Sur le plan formel tout d’abord, l’animation des protagonistes lisses ou velus et les jeux de lumière sont toujours plus bluffants d’un film à l’autre. Créé par l’équipe de Vice-versa, qui explorait déjà la palette des émotions humaines, l’imaginaire de Soul nous plonge dans une histoire qui plaira aux enfants et qui parlera encore davantage aux plus grands.
On regrettera seulement de ne pas avoir vu le film dans les meilleures conditions, c’est-à-dire dans une salle de cinéma. Prévu initialement pour le printemps en marge d’une présentation au Festival de Cannes, Soul est diffusé sur Disney+ depuis le jour de Noël. J’avais ouvert l’année 2020 sur l’impératif écologique de limiter le streaming… puis nous avons passé l’année derrière nos écrans de visioconférence et de divertissement. Nous éviterons donc les prédictions ou résolutions pour 2021 ; espérons simplement préserver la santé du plus grand nombre et retrouver, au bout du tunnel, des interactions plus libres. Restera-t-il des salles obscures dans la vie des enfants de 2020 ? Reprenant le modèle des dernières sorties Disney, les studios Warner Bros ont annoncé en décembre que leurs films de 2021 sortiront simultanément en salles et en streaming aux États-Unis. Moins chers, à la demande, au milieu d’une offre pléthorique, ces nouvelles façons de consommer les films s’imposaient déjà avant le coronavirus. Au risque de priver les générations futures d’une partie de l’âme magique du cinéma ?