Lorsqu’elle entendît que les Allemands avaient attaqué Oradour, elle se précipita à travers les champs sans se laisser envahir par la fatigue et la peur qu’ils aient pris son petit-fils. Le GPS de notre temps annonce plus de 6h30 de marche depuis Roumazières, ce bourg ouvrier situé entre Angoulême et Limoges qui est jusqu’à ce jour le plus grand centre de production de tuiles en Europe. Pas étonnant qu’on trouve dans ce coin charentais la terre d’origine des Chaput, dont l’étymologie remonte à la charpenterie.

Le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement de Normandie et au lendemain d’exactions du même ordre à Tulle, la division « Das Reich » de la Waffen-SS, réputée pour sa violence, poursuit sa remontée et massacre le village d’Oradour-sur-Glane. Pour que la terreur reste présente dans les cœurs. 642 victimes, une trentaine de survivants à peine, lors de ce qui constitue le plus grand massacre de civils perpétré en France par les armées nazies. Alors âgé de 16 ans, Guy Chaput avait rejoint le maquis depuis plus d’un an. Il faisait partie des foyers de Résistance cachés dans la forêt limousine, aux alentours d’Oradour-sur-Vayres, à 30 kilomètres seulement de l’autre Oradour…

Les historiens ne confirment pas la rumeur de l’époque qui voulait que les Allemands ambitionnaient dans cette opération de surprendre et décimer les Forces françaises de l’intérieur, mais avaient été orientées vers le mauvais village. Pour le salut de mon grand-père paternel. Toujours est-il que ce récit – dont j’ai pris note auprès de lui – le rattache pour moi, depuis que j’ai l’âge de comprendre ce que furent la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation, à un pan aussi héroïque que tragique de notre Histoire nationale et européenne. Je le revois encore avec son inévitable verre de rouge à la main, il y a quelques années de cela, alors que sa mémoire immédiate lui faisait déjà défaut, retrouver ses yeux pétillants et son patois répétitif à l’évocation de sa Charente natale et de ses deux années de maquis.

Ce ne fut là que la première de ses aventures d’un autre temps, qui se sont mêlées au destin de mon inconsolable grand-mère et de leur génération née entre-deux-guerres et épanouie durant les Trente Glorieuses sur les deux rives de la Méditerranée. Il pouvait être têtu et borné, mais sa jovialité et sa passion reprenaient le dessus lorsqu’il témoignait de son passé. C’est naturellement à ces images que j’ai repensé lorsque sa vie simple et courageuse s’est achevée dans la nuit du 18 au 19 février, après 92 années pleines.