Bonne année 2047 !
La campagne présidentielle fait rage entre les candidats hologrammes du Parti du Bonheur qui défend des positions anti-transhumanistes, le Rassemblement pour le Progrès et les Robots (RPR 3.0 !) qui se bat pour l’extension du droit du vote à toutes les machines, le mouvement “Sans Travail Sans Peine” qui vit dans la réalité virtuelle et la candidate des Bio-Conservateurs qui s’insurge que les débats soient dématérialisés et donc, une fois de plus, déshumanisés. Les compagnies d’assurance, qui ont racheté les entreprises du web, dirigent le monde. Les Etats ont été transformés en plateformes virtuelles multi-services regroupant toutes les démarches dont nous avons besoin dans notre vie quotidienne. Nos données biologiques et personnelles sont automatiquement transférées depuis la puce numérique universelle, invention révolutionnaire de l’entreprise Tata-Tech que chaque citoyen est désormais obligé de se faire greffer. La Charte du Numérique définissant les Droits de l’Homme et du Citoyen Connecté n’y a rien changé : les gentils bisounours qui voulaient tirer au sort des assemblées citoyennes pour restaurer la promesse démocratique ont été laminés par l’aspiration des hommes à consommer l’innovation technologique… au point de fusionner avec elle. Cela vaut en tout cas pour les 100 millions d’hyper-nomades aux vies mutantes et mouvantes, toujours orientées vers la mise en scène d’une réussite égocentrique. Ils ne pourraient pas se permettre ce train de vie s’ils ne retiraient pas les fruits du travail de 4 milliards de sédentaires, tiraillés entre le désir d’ascension sociale et la peur d’être déclassés au rang des infra-nomades, ces 4 milliards d’Autres qui vivent dans d’extrêmes conditions de précarité et d’insécurité depuis que la géopolitique mondiale a basculé de l’hyper-Empire à l’hyper-conflit.
Je retiens cette restitution croisée des exercices de prospective des élèves du cours que j’ai eu le plaisir d’animer à Sciences Po Lille de septembre à décembre 2016. J’ai eu l’agréable surprise de les voir se prendre au jeu de l’anticipation pour ce devoir final sur l’évolution du numérique, de la démocratie et de l’action publique à l’horizon 2050. Ils ont, chacun à leur manière, sous forme de débat théâtral, montage vidéo, présentation dynamique ou nouvelle littéraire, proposé leur vision de l’avenir. Drôle ou déprimée, froidement terrifiante ou résolument optimiste. Fondé sur l’extrapolation des tendances actuelles, l’art de la prospective nous laisse au milieu de ce gué incertain entre la fascination et le cauchemar. J’aurais 60 ans en 2047 ; je suis donc à mi-chemin en 2017 ! Mais pour construire une société plus démocratique face au déferlement de courants contraires, nous reste-t-il assez de temps ?